samedi 29 décembre 2018

Merveilles de François Coupry


François Coupry, Merveilles, cinq contes illustrés par Cyril Delmote, éd. PGDR et FCD Livres, novembre 2018, 580 pages.



La bibliographie de François Coupry est impressionnante, autant par le nombre de textes publiés que par les univers explorés. Encore que, pour ce qui est « des » univers, ils peuvent se réduire à un seul, immense si ce n’est infini : celui de la fiction. La fiction selon Coupry déborde tous les cadres. Si le point d’entrée, la plupart du temps crypté, est autobiographique, l’itinéraire qu’emprunte ensuite l’histoire est une odyssée de l’imaginaire, un imaginaire personnel, malaxé, puis lancé comme un astre dans des galaxies littéraires revisitées.

Chez Coupry, on va du microcosme au macrocosme, du masculin au féminin, de l’enfance à l’immortalité. On est en science-fiction, parfois. On explore des Camargue dystopiques sur fond de guerre mondiale. On entend rire Jésus face à Ponce Pilate, et se taire les mouettes sur une île où elles devraient crier. On est dans la prose, mais tout se passe, toujours, comme sur la scène d’un théâtre. Le lecteur est spectateur, et devient, sur l’invitation de l’auteur démiurge, acteur du texte qu’il lit. Les livres de François Coupry forment un tout cohérent et paradoxal. Le paradoxe, d’ailleurs, il le revendique depuis les débuts.

Le recueil Merveilles reprend cinq de ce que Coupry nomme ses Contes paradoxaux. Sous cinq appellations déclinées : conte amoral, conte héroïque, conte théâtral, conte cosmogonique, conte d’anticipation. On l’aura compris, le mot « conte » est apparié à un adjectif définissant une catégorie littéraire bien précise : l’association, chaque fois, surprend et est avérée. Oui, on peut écrire un conte théâtral.

Ce conte-là, le « théâtral » s’intitule Le Fils du concierge de l’Opéra. Avant de devenir un « conte » dans le recueil Merveilles, ce texte était un roman, publié en 1992 chez Gallimard, et qui a reçu le grand prix de l’Imaginaire. C’est par ce texte que j’ai découvert François Coupry, et j’ai découvert un monde. Le retrouver sous l’appellation « conte » me semble, aujourd’hui, une évidence. Oui, l’histoire du petit garçon orphelin de mère, confiné dans le théâtre sur lequel veille son père, père qui, à la question de son fils « Le monde ? C’est quoi le monde ? » répond « Le monde extérieur, réel, celui qui se trouve peut-être au-delà des murs de l’Opéra » est un conte. Il naît de ce « peut-être » dans la réponse du père. Il en a toutes les caractéristiques morphologiques proppiennes. Il en a, aussi, toutes les qualités visuelles : voilà un texte en rouge et or – les couleurs du théâtre. Le conte suppose une trajectoire, des obstacles surmontés, des surprises, sans temps mort. Et une bonne dose de peur mâtinée d’émerveillement, ou vice-versa. Pour le merveilleux, il est explicité en un raccourci épatant : « Aujourd’hui, rien d’extraordinaire, rien que le train-train du merveilleux. » Voilà ce que note le petit narrateur dans son grand registre, lorsqu’il se retrouve tout à fait orphelin. L’extraordinaire n’est pas le merveilleux. Choisir de bâtir une histoire autour d’un petit garçon qui passe sa vie dans un théâtre est une sorte de profession de foi :

« - Nous sommes dans une prison.
- Jamais personne n’est sorti de l’opéra. On y naît, on y rêve, on y meurt.
- Pourtant, un monde existe, à l’extérieur de notre maison, j’en suis sûr.
- Oui, les chiens, les oiseaux, et la vraie mer, et les vraies montagnes, et l’herbe vraie, et la neige…
- Valentine, tentons de partir, tous les deux.
- C’est inutile, impossible. Ce ne sont que des songes d’enfant. »

Le monde imaginaire, dans les fictions de François Coupry, n’est pas le reflet du monde, il est le monde. Une sorte de baroquisme au carré. Le Fils du concierge de l’Opéra est placé au centre des cinq contes de ce recueil, comme une indication de lecture. Les quatre autres textes explorent, chacun à sa façon, des possibilités autres de la perception de la réalité. Changement de narrateur ou narrateur changeant, microbes discutant et se disputant dans un corps, figure revisitée de Ponce Pilate après Boulgakov, Chine d’anticipation sur fond d’éternel féminin… Voilà cinq textes représentatifs de l’œuvre coupryenne dans son ensemble, magnifiquement illustrés par Cyril Delmote. Le dessin de la page 217 – pour Le Fils du concierge de l’Opéra, texte auquel je reviens toujours, décidément… – est d’une justesse bouleversante : une vue en plongée ; des fils tombant des cintres et descendant au plus profond d’une fosse de théâtre ; au bout des fils, un amas de cercueils ; deux enfants penchés sur une balustrade et regardant au fond de la fosse.

La fiction nous est indispensable, au moins pour deux raisons : le monde n’est pas conforme, il faut le remodeler ; la mort est inacceptable, il faut remédier à cela. François Coupry s’y emploie, avec constance et talent.