François Coupry, Merveilles,
cinq contes illustrés par Cyril Delmote, éd. PGDR et FCD Livres, novembre 2018,
580 pages.
La bibliographie
de François Coupry est impressionnante, autant par le nombre de textes publiés
que par les univers explorés. Encore que, pour ce qui est « des »
univers, ils peuvent se réduire à un seul, immense si ce n’est infini :
celui de la fiction. La fiction selon Coupry déborde tous les cadres. Si le
point d’entrée, la plupart du temps crypté, est autobiographique, l’itinéraire
qu’emprunte ensuite l’histoire est une odyssée de l’imaginaire, un imaginaire
personnel, malaxé, puis lancé comme un astre dans des galaxies littéraires revisitées.
Chez Coupry, on va
du microcosme au macrocosme, du masculin au féminin, de l’enfance à
l’immortalité. On est en science-fiction, parfois. On explore des Camargue
dystopiques sur fond de guerre mondiale. On entend rire Jésus face à Ponce
Pilate, et se taire les mouettes sur une île où elles devraient crier. On est
dans la prose, mais tout se passe, toujours, comme sur la scène d’un théâtre. Le
lecteur est spectateur, et devient, sur l’invitation de l’auteur démiurge,
acteur du texte qu’il lit. Les livres de François Coupry forment un tout
cohérent et paradoxal. Le paradoxe, d’ailleurs, il le revendique depuis les
débuts.
Le recueil Merveilles reprend cinq de ce que Coupry
nomme ses Contes paradoxaux. Sous
cinq appellations déclinées : conte amoral, conte héroïque, conte
théâtral, conte cosmogonique, conte d’anticipation. On l’aura compris, le mot
« conte » est apparié à un adjectif définissant une catégorie
littéraire bien précise : l’association, chaque fois, surprend et est
avérée. Oui, on peut écrire un conte théâtral.
Ce conte-là, le
« théâtral » s’intitule Le Fils
du concierge de l’Opéra. Avant de devenir un « conte » dans le
recueil Merveilles, ce texte était un
roman, publié en 1992 chez Gallimard, et qui a reçu le grand prix de
l’Imaginaire. C’est par ce texte que j’ai découvert François Coupry, et j’ai
découvert un monde. Le retrouver sous l’appellation « conte » me
semble, aujourd’hui, une évidence. Oui, l’histoire du petit garçon orphelin de
mère, confiné dans le théâtre sur lequel veille son père, père qui, à la
question de son fils « Le monde ? C’est quoi le monde ? »
répond « Le monde extérieur, réel, celui qui se trouve peut-être au-delà
des murs de l’Opéra » est un conte. Il naît de ce « peut-être »
dans la réponse du père. Il en a toutes les caractéristiques morphologiques
proppiennes. Il en a, aussi, toutes les qualités visuelles : voilà un
texte en rouge et or – les couleurs du théâtre. Le conte suppose une
trajectoire, des obstacles surmontés, des surprises, sans temps mort. Et une
bonne dose de peur mâtinée d’émerveillement, ou vice-versa. Pour le
merveilleux, il est explicité en un raccourci épatant :
« Aujourd’hui, rien d’extraordinaire, rien que le train-train du
merveilleux. » Voilà ce que note le petit narrateur dans son grand
registre, lorsqu’il se retrouve tout à fait orphelin. L’extraordinaire n’est
pas le merveilleux. Choisir de bâtir une histoire autour d’un petit garçon qui passe
sa vie dans un théâtre est une sorte de profession de foi :
« - Nous
sommes dans une prison.
- Jamais personne
n’est sorti de l’opéra. On y naît, on y rêve, on y meurt.
- Pourtant, un
monde existe, à l’extérieur de notre maison, j’en suis sûr.
- Oui, les chiens,
les oiseaux, et la vraie mer, et les vraies montagnes, et l’herbe vraie, et la
neige…
- Valentine,
tentons de partir, tous les deux.
- C’est inutile,
impossible. Ce ne sont que des songes d’enfant. »
Le monde
imaginaire, dans les fictions de François Coupry, n’est pas le reflet du monde,
il est le monde. Une sorte de
baroquisme au carré. Le Fils du concierge
de l’Opéra est placé au centre des cinq contes de ce recueil, comme une
indication de lecture. Les quatre autres textes explorent, chacun à sa façon,
des possibilités autres de la perception de la réalité. Changement de narrateur
ou narrateur changeant, microbes discutant et se disputant dans un corps, figure
revisitée de Ponce Pilate après Boulgakov, Chine d’anticipation sur fond d’éternel
féminin… Voilà cinq textes représentatifs de l’œuvre coupryenne dans son ensemble,
magnifiquement illustrés par Cyril Delmote. Le dessin de la page 217 – pour Le Fils du concierge de l’Opéra, texte auquel
je reviens toujours, décidément… – est d’une justesse bouleversante : une
vue en plongée ; des fils tombant des cintres et descendant au plus
profond d’une fosse de théâtre ; au bout des fils, un amas de cercueils ;
deux enfants penchés sur une balustrade et regardant au fond de la fosse.
La fiction nous
est indispensable, au moins pour deux raisons : le monde n’est pas
conforme, il faut le remodeler ; la mort est inacceptable, il faut
remédier à cela. François Coupry s’y emploie, avec constance et talent.