Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration
avec Virginie Neufville
Carole FIVES, C’est dimanche et je n’y suis pour rien, éd. Gallimard, coll. L’arbalète, 2015 et
éd. Folio, janvier 2017.
Léonore voulait
être peintre, elle est professeur d’arts plastiques en collège, de ces profs
itinérants qui vont de remplacement en remplacement, sans avoir le temps de
retenir le nom de leurs élèves. Elle a un copain, Laurent, qu’elle refuse
d’envisager comme son compagnon. Lorsque Laurent évoque la possibilité d’avoir
un enfant, Léonore se crispe. C’est qu’elle a quelque chose à résoudre, une
histoire qui remonte à vingt-cinq ans de là, alors qu’elle avait 15 ans et
passait ses vacances dans la région des châteaux de la Loire. Un amour de
vacances, elle adolescente, lui 19 ans. Il s’appelait José Oliveira, était
mécanicien. Il s’est tué dans un accident de la route le soir où ils avaient décidé
de coucher ensemble pour la première fois. Léonore se sent responsable de cet
accident, et depuis vingt-cinq ans, elle fuit toute relation stable.
Et la voilà qui, à
40 ans, veut trouver la tombe de José. Où est-il enterré ? Elle n’obtient
pas le renseignement à l’hôtel de ville de Créteil – la scène avec les employés
de mairie est d’un tragi-comique très réussi. Alors elle part pour Porto,
pensant que José a dû être inhumé dans son village natal, près de la grande
ville du nord du Portugal.
Carole Fives
brosse le portrait d’une quadra un peu perdue qui se donne trois jours – le
temps du séjour à Porto – pour se recentrer, et peut-être trouver l’apaisement.
Mais l’intérêt du roman repose moins sur ce portrait de femme que sur
l’arrière-plan sociologique. Le personnage de José est prétexte à évoquer la
situation des portugais en exil en France. Ils ont fui une situation économique
désastreuse et un régime dictatorial insupportable. Les hommes partaient les
premiers, les femmes les rejoignaient ensuite, abandonnant à des tantes ou des
grands-mères les enfants encore petits. Il faut dire que les conditions
d’accueil en France étaient plus que précaires. Les enfants n’auraient pu vivre
décemment dans le bidonville de Champigny-sur-Marne. Les parents immigrés
attendaient des jours meilleurs, et des logements salubres, pour accueillir
leurs enfants. C’est aussi la vie de José, et celle de ces émigrés, que Léonore
découvre à Porto, de même que la volonté des artistes-peintres d’aujourd’hui
qui ne baissent pas les bras, quand elle-même a renoncé à son art et que les
jeunes portugais se voient contraints, à nouveau, de s’exiler pour trouver du
travail.
C’est dimanche et je n’y suis pour rien est un très court roman qui se lit d’une
traite. Des incises en italiques donnent accès à la vie de José dont Léonore
ignorait tout à 15 ans. Le récit central, à la première personne, dessine un
itinéraire géographique et psychique. L’écriture de Carole Fives oscille entre
comique de situation et réalisme psychologique. Les trois jours que Léonore
passe à Porto seront décisifs et libérateurs.