mercredi 2 mars 2016

J’ai relu Le Roi des Aulnes



Michel Tournier, Le Roi des Aulnes, Gallimard, 1970.

J’ai donc relu Le Roi des Aulnes de Michel Tournier. Ma dernière – et première – lecture  remontait au début des années 80. Il me restait de cette lecture un souvenir ébloui, l’idée d’un roman-monstre et fascinant, le genre de texte que l’on ne peut lâcher. En un aller-retour en TGV (9 heures de trajet en tout), j’ai avalé et digéré à nouveau les 400 pages de l’édition originale, celle aux cahiers cousus qui aujourd’hui se déglinguent quelque peu, les fils se sont relâchés, la tranche n’est plus d’équerre, et le papier cristal protégeant la couverture a jauni. N’empêche… ce texte semble ne pas avoir d’âge, ce qui est paradoxal pour un roman historique. Car Le Roi des Aulnes, c’est aussi un roman historique. L’ogre, c’est aussi le nazisme.

J’avais plus de souvenirs des Météores, pour des raisons qui ont trait à mon parcours universitaire. Du temps que j’étais argentiniste – mais ces temps-là sont révolus – j’avais travaillé sur le personnage de l’oncle des jumeaux, en parallèle avec la figure de Fernando Vidal Olmos, le héros de Sobre héroes y tumbas d’Ernesto Sábato, mon vrai sujet d’étude. En relisant Le Roi des Aulnes, je me suis aperçue que j’avais complètement oublié l’obsession de Tournier pour les jumeaux. Les Météores n’est peut-être qu’une extension, une amplification, de qui est déjà dans Le Roi… et sans doute dans Vendredi…

Du Roi des Aulnes, à bien y réfléchir, il ne me restait que le souvenir de Goering, traité comme un personnage romanesque. Il me restait aussi, bien sûr, le souvenir de l’utilisation de l’ogre, de la figure féérique et maléfique. Et la voix de Jessye Norman chantant le lied de Schubert tiré du poème de Goethe qui a donné son titre, et sa base, au roman. J'écoutais le disque en boucle.

Une semaine après avoir digéré cette relecture, un léger malaise, toutefois, persiste. Rien à dire sur le texte, au déroulé impeccable. Rien à dire sur le style de Tournier qui est peut-être là à son apogée. Quelque chose, tout de même, tarabuste la lectrice. Non le point de vue du narrateur, qui est ce qu’il est. Mais le point de vue de l’écrivain. L’ogre aime la chair fraîche, les jeunes garçons sont ses proies, tout cela fait partie de l’économie du roman. Mais il y a, me semble-t-il, une certaine délectation à décrire les corps de ces jeunes garçons, une délectation brute, non mise en perspective littéraire. La scène de « l’hypnodrome », dans le dernier tiers du roman, me soulève le cœur. Cette scène, toute en allusions, met le lecteur en porte-à-faux. La posture du lecteur est soumise, contrainte, à la posture de l’écrivain.

Ce n’est qu’un – léger ? – malaise. Persistant, toutefois.