Jean-Pierre de Lucovich, Occupe-toi d’Arletty !, éd. Plon, 2011 et éd. 10/18, janvier 2016.
« Mon cœur est
français mais mon cul est international ! » On connaît la réplique d’Arletty,
qui n’est pas tirée d’un film mais a été prononcée par l’actrice lors de
l’épuration – réplique peut-être soufflée par Jeanson, le célèbre dialoguiste.
Ça ressemble à un très bon mot d’auteur, comme cette autre réplique qui nous
est également parvenue : Arletty est emprisonnée quelques temps, une
détenue lui demande des nouvelles de santé, et la môme de Courbevoie répond
« pas très résistante ». C’est que durant l’Occupation, Arletty a eu
une liaison avec un officier allemand, Hans Jürgen Soehring. Sur cette base
historique, Jean-Pierre de Lucovich imagine un polar efficace au casting
ébouriffant.
L’amant d’Arletty, dans le
roman, s’appelle Karl von Sperlich, et on ne le voit qu’en photo. Il trône sur
une table, dans le salon d’Arletty, et a laissé quelques vareuses dans une
penderie. Occupé ailleurs, le bel Allemand. Pendant son absence, l’actrice
reçoit des menaces de mort sous la forme de petits cercueils. Qui la
menace ? Et pourquoi ? Pour sa liaison ? Pour avoir tenu un rôle
au cinéma à la place d'une autre actrice pressentie puis écartée ? Le détective
Jérôme Dracéna enquête.
Le roman se déroule donc
dans le Paris de l’Occupation. On croise tout le monde, ou presque, et c’est un
régal. L’adorable Carette, le distant Pierre Fresnay, Cocteau, Sacha Guitry…
C’est Dita Parlo, héroïne de L’Atalante
de Jean Vigo et incarnant le seul rôle féminin de La Grande Illusion de Jean Renoir, qui est plus ou moins au centre
de l’intrigue. Une actrice allemande tournant en France, écartée au profit
d’Arletty sur les écrans. Le Paris de l’Occupation, c’est aussi le Gai Paris,
celui des cabarets, des bordels, des officiers allemands attablés avec des
filles et des gestapistes. Bonny et Lafont sont là, bien sûr. On visite le One Two Two, le plus fameux bordel de la
capitale (1).
Jean-Pierre de Lucovich
parvient à ressusciter la période de l’Occupation avec brio. Pas un détail ne
manque : la Juvaquatre du détective, les gratins de rutabagas mis en
parallèle avec les repas améliorés grâce au marché noir, les répliques des
films que l’on se récite, les chansons de Reda Caire et les musiques de Django
Reinhardt. Mais là où le roman prend tout son sel, c’est lorsque Léonie
Bathiat, dite Arletty, s’exprime. On entend véritablement sa gouaille, et l’on
reproduit, en pensée, son phrasé :
« C’est pas d’ma faute si je suis sentimentale, mais faudrait pas me prendre pour une poule ! J’ai tourné un film avant la guerre où j’avais une réplique qui a fait beaucoup rire : “J’ai l’corps un peu en vadrouille, ça n’empêche pas d’avoir l’âme ingénue”, mais minute, faut pas confondre, c’était pas moi, c’était mon personnage. Bon d’accord, j’vous l’accorde, y avait un peu de moi… »
Pour ceux qui, comme moi,
ont acquis leur culture classique cinématographique grâce au ciné-club de la
deuxième chaîne – Claude-Jean Philippe a été un prof formidable ! – Occupe-toi d’Arletty est une très jolie
manière de réviser son noir et blanc.
*
Notes
(1) – Et c’est là que l’on
se rend compte que les chambres de la maison de Bernard Blier, dans Le Cave se rebiffe, sont calquées sur
celles du célèbre bordel du 122 rue de Provence.