Paul Fournel, Le
Bel Appétit, poèmes, P.O.L., 5
juin 2015, 216 pages.
Essayons la critique en
sonnet :
Fournel
choisit la forme fixe, la contrainte
Et nous
parle patates, homard, pain, fromage.
Il n’oublie
pas le vin, rouge ou blanc, bon en pinte,
Celui qui
comme nous bonifie avec l’âge.
Il use du
sonnet, du rondel, du pantoum,
Convie à son
banquet ballades et terines,
L’hamburger
et le sauc’. Quand notre cœur fait boum
A l’heure
de manger les plats sautent aux rimes.
Ce sont des
souvenirs, d’enfance ou bien récents,
Que Fournel
revisite en toute gourmandise
Pour notre
grand plaisir de gourmets innocents.
La mémoire
du mets nécessite qu’on dise
La recette
tout haut : c’est en la ressassant
Qu’on
retrouve vraiment son goût de friandise.
Ce sont des poèmes
délectables, dans lesquels l’humour du bon vivant rejoint la rigueur de
l’écrivain. Paul Fournel ne limite pas son recueil à la seule évocation des
plats, ou des ingrédients. Il nous entraîne aussi dans les cuisines, à l’heure
du coup de feu, lorsque les ustensiles soudain disparaissent :
« “Ah,
si seulement j’avais un petit tamis”, gémit la célibataire
En pleurant
des grumeaux dans sa farine en puits ».
Ou au cœur de sa
bibliothèque gourmande :
« On y
trouve des livres de recettes des grands chefs qu’on lit comme des poèmes
Et les
livres de recettes simples comme des polars qu’on lit pour savoir la
faim ».
Tout est affaire de
regard : celui que l’on pose sur la table servie, ou sur la vie tout
court, est le même que celui que l’on pose sur la littérature. On mange comme
on vit, et on écrit comme on mange. Avec ses préférences et ses dégouts, son
héritage et sa curiosité.
A simplement prononcer ou
penser le mot « pantoum », on évoque Baudelaire et son
« Harmonie du soir ». Avec le pantoum, forme poétique strictement
codifiée (strophes de quatre vers à rimes croisées, le deuxième et le quatrième
vers de la première strophe devenant les premier et troisième de la suivante, c’est
diabolique), Paul Fournel rend hommage à la patate, mariant la forme noble et
l’aliment prolétaire :
« Tu
frémis dans la graisse d’oie,
Je te salue
pomme de terre
Tu mollis
dans le feu de bois,
Ma
nourriture débonnaire.
Je te salue
pomme de terre.
Patate universelle !
Ma
nourriture débonnaire,
En fines
frites ou en rondelles. »
Le rondel, forme fixe
proche du rondeau, basé sur deux rimes et un refrain, penche, dans Le Bel Appétit, vers le jeu de mot,
faisant coïncider le fond et la forme :
« C’est
un rondel de saucisson,
C’est aussi
un rondel de pain,
Car c’est
toujours main dans la main
Couchés sur
l’autre qu’ils sont bons.
On peut y
glisser cornichons,
On peut
prévoir un peu de vin,
C’est un
rondel de saucisson,
C’est aussi
un rondel de pain,
Souvent on
beurre son croûton,
On fait
preuve d’esprit malin
En
tranchant large, en tranchant fin,
On peut
ajouter du jambon
C’est un
rondel de saucisson. »
Dans Le Bel Appétit, Paul Fournel a grand faim : faim de rimes et
de formes, de partage et de clins d’œil. La « terine », forme
poétique qui limite les rimes à trois mots, n’évoque pas ici la terrine de nos
terroirs, mais la façon de manger en Amérique (« plateau », « sac »,
« to go »). Paul Fournel convie le lecteur, en toute complicité et à
la fortune de l’OULIPO, à partager un délicieux repas.