Joyce Maynard, Une
adolescence américaine (chronique des années 60), traduit de l’anglais (USA) par Simone Arous, éd.
Philppe Rey, avril 2013, 192 p.
Joyce Maynard naît en
novembre 1953, elle passe son enfance et son adolescence dans le New Hampshire.
Elle y mène une existence somme toute banale, une petite vie américaine loin de
New York ou de Hollywood. Mais voilà qu’en 1972, elle a l’idée d’envoyer ses
textes au New York Times, qui les publie. Se fait alors entendre
une petite voix, à la fois pudique et assurée, qui raconte le quotidien de la
jeunesse des Américains moyens. La voix, et le regard. Joyce Maynard, jeune
fille de moins de 20 ans, jette sur son itinéraire encore bien court un regard
d’essayiste. Elle sait montrer ce qu’il y a à voir, ce qui est en train de
changer et ce qui ne change pas, les mutations et les stagnations de cette
Amérique des années 60. Cette chronique nous ramène en arrière, dans ce qui est
devenu, dans l’inconscient collectif, une espèce d’âge d’or : les Beatles
et les Stones, Joan Baez, les feuilletons télévisés, les guitares et les fleurs
dans les cheveux, le féminisme… C’est peut-être ce que nous en avons – avions ?
– retenu de prime abord.
C’est une jeune fille qui
nous parle, et ses préoccupations sont avant tout celles des filles : le
souvenir de la diffusion d’un film produit par Disney, dans les écoles, qui
explique le passage de la puberté, et la gêne des écolières ; une
couverture de magazine que l’on trouve répugnante, où l’on voit un fœtus en
gros plan ; les garçons qui sont attirants mais effrayants, puis
uniquement attirants, et l’envie d’« aller jusqu’au bout » avec
eux ; les nouveautés en matière de maquillage, comme cette mode qui n’a
pas pris, qui aurait voulu que l’on se peigne le corps entier. Mais ceci n’est
que la surface des choses vues par Joyce Maynard. Son regard est plus perçant.
Parce qu’elle est timide, un peu gauche, incapable de coordonner véritablement
ses mouvements et donc piètre gymnaste, elle observe plus qu’elle n’agit. Elle
observe au plus près. Lorsqu’elle parle du système scolaire – qu’elle vient
tout juste de quitter – elle fait montre d’un recul assez stupéfiant :
« L’école primaire était un club qui ne renforçait pas seulement l’esprit
de classe, mais en créait un nouveau – un système où celui qui bégayait et
celui qui jouait mal au base-ball n’avaient aucune chance et resteraient au bas
de l’échelle, un système où se situer au milieu, ni trop haut ni trop bas, se
révélait occuper la meilleure place ».
Dans la vie de
l’adolescente Joyce Maynard, la télévision tient une grande place. Elle dit
rester rivée devant l’écran de 15h au soir, sans changer de chaîne, avalant
tout ce qui défile, les vieux films et les soaps, les séries et le sport. Elle
avoue qu’elle ne lit pas les livres de poche qu’elle reçoit – elle est abonnée
à un club de livres – mais qu’elle les aligne sur ses étagères, par ordre
alphabétique d’auteur. C’est à cette époque, sans doute, que l’immédiateté
prend réellement sens : on veut du nouveau, on ne lit plus ce qui a été
écrit les années précédentes, voire les mois précédents. La jeunesse est la
vitesse. Une fulgurance.
La chronique de ces années
60 est délicieuse. Mais légèrement trompeuse. Pour bien lire ce livre, il
faudrait commencer à la page 43, et ne lire la préface qu’en dernier lieu. Car
dans la préface, c’est la Joyce Maynard de 2012 qui s’exprime, et qui dévoile
quelques failles de son état des lieux adolescents publié en 1973. Des
omissions, qui ne sont pas des mensonges. Des angles de vue qui cachent parfois
le détail gênant, ou un pan entier de la société. En 1973, à l’heure de rédiger
la conclusion de son livre, la jeune écrivain se demande « où sont les
noirs » dans son texte, tout en reconnaissant qu’elle n’a pas le droit de
parler en leur nom. En 2012, dans la préface, l’écrivain de 62 ans nous raconte
que cette conclusion, elle l’a écrite chez Salinger, et qu’elle s’est pliée à
ses remarques pour la rédiger. Car Joyce Maynard a abandonné l’université pour
aller vivre avec J.D. Salinger, de trente-cinq ans son aîné. Ç’aurait pu être
une belle histoire, au fond, si l’écrivain célèbre n’avait foutu dehors la
jeune écrivain en devenir, au bout de quelques mois, en lui tendant un billet
de 50 dollars.
Dans la préface, Joyce
Maynard éclaire d’un jour nouveau sa chronique des années 60. Elle y parle sans
fard d’anorexie, du mal-être d’un de ses amis de l’époque, homosexuel, et des
coucheries élèves/professeurs. La jeune fille de moins de 20 ans ne pouvait pas
« voir » réellement, car elle n’avait pas assez de recul, et ne
pouvait pas « dire » réellement, car elle n’avait sans doute pas
assez de force. Les problèmes familiaux ont été passés sous silence, par
exemple. La jeune Joyce qui rédige sa chronique nous semble bien sympathique,
ma foi. Mais la Joyce Maynard d’aujourd’hui, celle qui rédige la préface, par
le ton qu’elle emploie, par sa sincérité et sa colère à rebours contre quelques
aspects des années 60, nous est, sans conteste, éminemment proche. Elle s’y
livre sans fard, avec quelque chose d’amical dans le ton, qui est celui de la
conversation sincère avec le lecteur. Cette préface nous est destinée, à nous,
lecteurs français. Elle a été rédigée tout exprès pour cette publication des
éditions Philippe Rey.