Nina Allan, Les Bons Voisins, traduit de l’anglais par Bernard Sigaud, éd. Tristram, 21 août 2025, 320 p.
Cath est photographe. Elle revient sur l’île où elle a passé sa jeunesse. Elle mène un projet artistique : prendre en photo les lieux où se sont déroulés des crimes. Il se trouve que la meilleure amie de Cath, au lycée, a été assassinée vingt ans auparavant, en même temps que sa mère et son petit frère, sur cette île. La police a conclu à la culpabilité du père, lui-même trouvant la mort dans un accident de voiture juste après le massacre. Cath ne se satisfait pas des conclusions de l’enquête. Tout cela paraît trop simple et, sans doute, trop banal pour expliquer la mort de Shirley, sa meilleure amie. Comment peut-on mourir ainsi, si jeune, et assassinée ? Pourquoi ?
Vingt ans après, donc, Cath fouille et enquête, élabore des théories. La mère de Shirley avait-elle un amant ? Et pourquoi pas ? Mais alors, cela expliquerait la folie du père, par jalousie… Mais non, pas forcément, pense Cath. Pourquoi l’amant ne serait-il pas l’assassin ? A ces élaborations mentales viennent s’ajouter des interrogations à propos des croyances populaires, ces « bons voisins » qui seraient de mauvais esprits, et qui auraient envoûté le père de famille déclaré assassin. Mais au fond, est-ce que cela a de l’importance, de savoir de la main de qui Shirley est morte ?
« Une fois, j’ai demandé à Shirley si elle avait songé à s’échapper - faire son sac et quitter l’île - et elle a dit : tout le temps ! Ça, je ne l’ai jamais oublié. »
Elle qui voulait à tout prix quitter l’île et son territoire étriqué y est morte et enterrée. C’est plutôt sur cette injustice de trajectoire que se focalise Cath qui a présent est revenue dans cette île qu’elle n’aimait pas, se prend à s’y sentir bien, surtout après avoir fait la connaissance d’Alice, la femme qui occupe à présent le lieu du drame, la maison de la famille de Shirley. Une étrange relation s’installe entre Cath et Alice, femme mariée bientôt enceinte. Le mari paraît violent, en tout cas insaisissable, pratiquement toujours absent. Alice elle-même a parfois un comportement incompréhensible. Que sait-on, que comprend-on des gens, au fond ? Cath est désorientée.
Nina Allan, qui elle-même vit dans une île au large de l’Ecosse, explore à merveille la condition insulaire. Un monde clos que l’on veut fuir, un cocon que l’on veut retrouver ou découvrir, une terre d’incompréhension, de légende et de mémoire. Comme si ailleurs que sur une île, les personnages se seraient comportés de façon différente. Cela est vrai, à l’évidence, pour Alice et son époux. Mais qu’en est-il pour Cath ? Elle, elle choisit le retour à sa terre de jeunesse, accomplissant en cela une trajectoire inverse à celle de son amie Shirley, qui n’a pas pu partir.
Nina Allan nous offre ici un texte apparemment différent de ses romans et nouvelles antérieurs, en cela qu’il semble plus ancré dans une réalité et bâti sur une enquête. Mais ce n’est qu’une impression de surface. Allan creuse sa veine romanesque dans le non-dit et le merveilleux, dans l’étrange et la psyché. Pour ne prendre qu’un exemple : la maison de poupée que le père de Shirley a construit pour sa fille, et que Cath retrouve dans la maison du drame louée par Alice, reproduit à l’identique la maison elle-même, avec les détails d’agencement de pièces invisibles, dévoilées dans la miniature. Il y a dans le plan de la maison - la vraie et la maison de poupée - quelque chose qui renvoie à la tache aveugle d’un labyrinthe, au mystère des agissements humains. C’est à ce genre de détails que l’on reconnaît, immédiatement, la patte de Nina Allan. Cette manière de d’articuler les correspondances et de bousculer l’évidence. Les Bons Voisins est une bonne façon d’aborder son oeuvre romanesque. Et de Nina Allan, il faut tout lire !