Fabrice Caro, Les Derniers Jours de l’apesanteur, éd. Gallimard, Coll. Sygne, août 2025, 224 p.
Voilà l’argument de départ des Derniers Jours de l’apesanteur. Argument un peu mince, on en conviendra. Tout le talent de Fabrice Caro consiste à transformer la banalité en aventure. Cela tient, en premier lieu, à la qualité de l’écriture. Caro fait parler et penser son narrateur Daniel sur le mode ironique et concerné. Le moindre petit fait devient un drame, ou une comédie. Un de ses copains ne sait pas vraiment s’il « sort » avec une fille du lycée, simplement parce qu’il l’a embrassée lors d’une soirée, et la manière dont ce copain se débrouille pour éviter de croiser la fille devient un running-gag sur les chassés-croisés dans les couloirs. Qu’est-ce qui intéresse les post-ados qui passent le Bac en 1989 ? La découverte du point G et sa mise en équation, par exemple. Ils nous paraissent bien sages, ces grands gamins. Ils rougissent lorsque le croquis est confisqué par la prof d’Histoire.
Fabrice Caro se débrouille pour faire vivre tout le petit peuple lycéen sans jamais le décrire. Chaque élève a un nom, mais aucune description physique ne nous est donnée. Drôle d’impression pour le lecteur, qui se sent proche des personnages qui ont tous une chair, et dont il peut se forger l’image à son gré. Ce ne sont pas des ébauches, les personnages existent grâce à leur nom et prénom, toujours donnés en entier, sauf pour Daniel, Justin et Marc. Eux, ils sont seulement des prénoms, parce qu’ils sont les protagonistes.
il y a une gradation inversée des malheurs dans Les Derniers Jours de l’apesanteur. Si le roman débute par la mort d’un lycéen, puis celle d’un oncle, il continue sur une jambe brisée, puis sur une disparition, certes inquiétante. Qu’est-il arrivé à Félicien Lubac ? Est-il séquestré, voire a-t-il été assassiné par une jeune prof de piano et le père de la collégienne à laquelle Daniel donne des cours de maths ? Des théories s’échafaudent, Daniel détient des indices…
On connaît le talent de Fabrice Caro, et son savoir-faire. Ici, dans un roman centré sur le basculement de la post-adolescence à la pleine jeunesse pré-adulte, il fait à nouveau merveille. Il sait transformer l’angoisse de ses personnages en réjouissance pour le lecteur, jusqu’au rire. Ce qui n’empêche pas l’empathie. Là est le tour de force. Caro est un tendre, le mal a peu de place dans ses textes, et lorsqu’il est suggéré par ses personnages, la résolution est toujours autre, plus humaine, moins malsaine. Il y a du Goscinny (celui du Petit Nicolas) dans Les Derniers Jours de l’apesanteur, à une autre époque - l’âge des personnages, l’univers diégétique décrit. Mais le regard porté et l’écriture sont à cette aune : un sens aigu de l’observation, un amour pour les personnages, une certaine nostalgie. Le lecteur est renvoyé aux temps des figurines météo - ces animaux qui changeaient de couleur selon le temps à venir -, à la diffusion des Chiffres et des Lettres, aux Renault 5 et aux mobylettes Peugeot 104, aux Amstrad. Voilà un roman qui touche au coeur, et ça fait du bien.