Eric Poindron, Comment vivre en poète,
éd. Le Castor Astral, 14 février 2019, 128 pages.
Eric Poindron a
encore frappé. Ce fou furieux des questionnaires improbables nous offre en ce
mois de février une réflexion dont le titre, sans point d’interrogation, augure
d’un manuel de savoir-vivre. L’ouvrage, à la typographie impeccable – bâton et
sérif, cul-de-lampe et retraits, centrage et justification droite-gauche – est une
invitation non au voyage, mais au fouissage, au creusement. Comment vivre en
poète ? En vivant. En étant vivant. En restant vivant. Nerval n’est jamais
mort, je le soutiens mordicus.
Comment vivre en poète est un manuel, donc. De question en question, la question se
creuse : « Quel langage êtes-vous ? » ; « Que
vient faire la poésie dans le monde ? » ; « Sur quel
monument écririez-vous, et qu’y écririez-vous ? » Là, soudain, à
rebrousse-temps, surgit le souvenir récent de graffiti sur l’Arc de Triomphe,
mais il n’est point question de cela chez Poindron. Le livre a été pensé et
imprimé bien avant les débordements des Champs. Et puis, la question est
rhétorique, et la réponse magistrale :
« Bien
qu’elle soit entièrement recouverte d’inscriptions, il est notable que
l’obélisque de la Concorde n’est aucunement un livre. La nuit est le
confessionnal qui chuchote parfois les histoires secrètes à celui qui parfois
les entend. »
Il y a, dans ce
paragraphe, un contre-pied rigolard, la construction d’une atmosphère poétique typiquement
parisienne, et une révélation. On le sait, le mot obélisque est masculin. Mais
Poindron s’en fout. D’ailleurs, pour un symbole aussi phallique, le masculin
est redondant. On s’en souvient, la part égyptienne de Paris sert de trame aux Aventures d’Adèle Blanc-sec de Jacques
Tardi, dans une atmosphère qui tient du réalisme poétique autant que de
l’imbroglio. Et nos rêves, poèmes de nos nuits, sont bien le creuset de notre
poésie secrète.
Les inserts et les
questions de l’auteur à nous posées côtoient les citations. J’avoue : dès
qu’un auteur est capable de faire référence à Béalu, je craaaque. C’est comme
un cadeau de reconnaissance (voir p.82 : « A la manière de Marcel
Béalu, vous prenez la route pour une pérégrination fantastique. ») Sans
compter que sont cités également Lord Byron, Hélène Cixous, Apollinaire et Mandiargues,
Gourio et Aloysius Bertrand, entre autres. La lecture de Comment vivre en poète doit être toute personnelle. Pour ma part, j’y
ai retrouvé nombre des membres de ma famille littéraire.
Ce livre est
sérieux. Ces « 300 questions au lecteur et à celui qui écrit » – c’est
le sous-titre de l’ouvrage – sont une invitation à faire le point sur son
itinéraire poétique. Itinéraire de lecteur et d’écrivain, ou de poète qui n’écrit
pas. Être poète est une attitude, une façon d’être au monde. C’est bien cela que
nous montre Eric Poindron. Son livre, bien sûr, peut servir de base à des
palanquées d’ateliers d’écriture. C’est une mine d’exercices. Mais, avant tout,
Vivre en poète est un livre que
Poindron nous offre en partage amical, avec des tonnes de clins-d’œil, de
bourrades aux épaules, et de non-dits timides.