mardi 4 juin 2024

Zephyr, Alabama de Robert McCammon

Robert McCammon, Zephyr, Alabama (Boy’s life), 1991, nouvelle traduction française de l’américain par Stéphane Carn avec la participation de Hélène Charrier, éd. Monsieur Toussaint Louverture, collection Les Grands Animaux, mai 2024.

Le monde vu par un enfant de 12 ans dans l’Amérique du début des années 60. Nous voilà en terrain connu. Quelle que soit la période envisagée, l’enfant, le pré-adolescent, est un personnage merveilleux. Par ses yeux, les cinéastes et les écrivains font revivre leur propre enfance, puisent au cœur de la pop-culture, et nous transportent, nous, lecteurs, dans un univers enfoui en chacun de nous, et que nous croyions dépassé, voire oublié. Les vélos, les petits caïds que ne s’en prennent qu’à plus faibles qu’eux, les parents et leurs faiblesses découvertes, l’irruption de la violence, et, puisque nous sommes aux USA, l’importance du base-ball et la ségrégation toujours en vigueur. Ce schéma rapide renvoie, d’emblée, à des œuvres que nous avons tous lues ou vues : E.T, Stand by me, Stanger things, pour ne citer que ce qui me vient à l’esprit au fil du clavier. Des œuvres où la voix est donnée aux petits garçons. Fragiles, heureux, insouciants, jusqu’à ce que quelque chose d’extraordinaire vienne déchirer le voile de l’innocence. 

Zephyr, Alabama ne déroge pas à la règle de ces romans modernes d’apprentissage. D’où vient la grâce de ce texte ? Car il est nettement au-dessus de tout ce que j’ai lu dans le genre jusqu’à aujourd’hui. Elle naît, peut-être, justement, du genre, du savant et juste dosage du mélange des genres. Dans ce roman, on trouve pêle-mêle un peu de vaudou, un tricératops, des gangsters, un criminel nazi, un ange aux yeux bleus marié à un sale jeune type, un vélo plus ou moins magique, un monstre des grands fonds, une balle de baseball lancée par un gringalet, et qui monte si haut que jamais elle ne redescend. Le tout mis en place dans un texte en quatre parties qui suivent les quatre saisons de l’année 1964, sur fond de musique des Beach Boys.

Cory a douze ans, trois copains, une mère bonne pâtissière et un père livreur de bouteilles de lait. C’est en l’accompagnant, un matin, très tôt, dans sa tournée, qu’il voit tomber une voiture dans le lac de Zéphyr. Le père plonge pour sauver le conducteur prisonnier de la voiture, mais l’homme est enchaîné au volant, il est nu et mort, étranglé par ce qui ressemble à une corde de piano. Ne pas avoir pu sauver cet homme déjà mort mine le père, qui se met à déprimer. Qui a bien pu commettre un tel crime ? Et qui est ce mort ? L’énigme n’est pas résolue. Le tatouage qu’il porte – un crâne ailé – n’aide pas à son identification. Il faudra quatre saisons, la mort et la résurrection d’un chien, les leçons de piano imposées à un copain de Cory, une plume de perroquet et l’art divinatoire d’une très vieille dame noire pour défaire tous les fils de cette histoire. Parallèlement à cela, on assiste à l’émergence des supermarchés qui bousculent le quotidien du livreur de bouteilles de lait, et à la naissance de la vocation d’écrivain de Cory.

Voilà un roman merveilleux, qui joue à la fois sur la nostalgie d’une époque et la permanence de motifs romanesques. L’histoire d’un petit garçon qui sort du confort de l’enfance, qui passe des épreuves et grandit en résolvant un crime. Un petit garçon qui deviendra écrivain. A lire absolument.

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 NB : On ne cessera jamais de louer la ligne éditoriale des éditions Monsieur Toussaint Louverture, et le soin apporté à chaque publication. Ici, dans ce roman publié dans la belle collection des Grands Animaux, un couverture noire ornée d’un dessin décalé, sous une jaquette représentant un ciel vert étoilé. Il faut tout lire, jusqu’au bout, jusqu’au bout de l’achevé d’imprimer, et ne pas rater la quatrième de la jaquette, avec le clin d’œil à Stephen King.