dimanche 6 novembre 2022

Vers les étoiles de Mary Robinette Kowal

Mary Robinette Kowal, Vers les étoiles (The Calculating Stars), traduit de l’anglais (USA) par Patrick Imbert, (première édition Denoël, coll. Lunes d’encre),  éd. Folio SF, octobre 2022, 576 p.


En 1952, une météorite s’écrase dans l’océan au large de Washington, tuant toute la population dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Elma et son époux Nathaniel York échappent à la catastrophe. Elma est l’héroïne de ce formidable roman : mathématicienne surdouée – elle est entrée à l’université à 14 ans – elle a été pilote pendant la seconde guerre mondiale. Elle est juive, et cela a son importance dans l’histoire. Elle subit par deux fois le syndrome du survivant : en survivant à la Shoah même si, Américaine, elle n’était pas directement visée, comme les Européens, par les nazis, et elle a retrouvé après la guerre des réflexes de culture juive qui ne lui étaient pas coutumiers ; et en perdant ses parents lors de la catastrophe de la météorite. Elma est une calculatrice hors-pair. Avant même de trouver refuge dans une zone protégée, à partir des données d’impact de la météorite, elle arrive à la conclusion que cette catastrophe conduit irrémédiablement à la grande extinction. Dans un premier temps, il va faire froid, le ciel sera couvert, et puis l’effet de serre jouera, le climat se réchauffera, et la Terre sera inhabitable. Il reste quelques années pour agir. Agir ? Comment ? En préparant la colonisation d’autres planètes, pour évacuer l’humanité. Elma veut participer à ce sauvetage, elle a perdu trop de monde, déjà. 

Nous sommes donc en 1952, les projets spatiaux vont prendre une importance capitale. Pas d’ordinateurs, les calculs se font à la main, avec une règle à calcul. Elma, elle, fait les calculs de tête et vérifie seulement ensuite avec la règle. A l’agence spatiale, ce sont des femmes qui calculent, comme dans la vraie vie, a-t-on envie de dire. On se souvient du livre, et du film, Les Figures de l’ombre, dans lesquels on découvrait le rôle de femmes afro-américaines dans la conquête spatiale. L’agence spatiale du roman est internationale, ce sont des femmes de toutes nationalités qui opèrent. Ces femmes sont exceptionnelles. La plupart d’entre elles sont pilotes, et quand les premiers astronautes sont formés, elles se demandent bien pourquoi on n’a pas fait passer de tests aux femmes, alors que certaines d’entre elles ont plus d’heures de vol que les hommes choisis. Mary Robinette Kowal tisse une histoire captivante sur la conquête spatiale qui interroge également les inégalités de traitement, le sexisme, la ségrégation. S’il n’y a pas de femmes parmi les premiers hommes de l’espace, il n’y a pas non plus de noirs. En lisant ce roman, on pense à la série For all mankind, qui évoque aussi la place des femmes dans l’espace, mais dans les années 70. 

Le personnage d’Elma est traité sur le mode sensible. Elma forme un couple parfait avec son mari Nathaniel, ingénieur. Nathaniel découvre au cours du roman la fragilité de sa femme, qui reste traumatisée par le traitement qu’on lui a fait subir durant ses années d’université : elle était si jeune et si brillante, ses professeurs la montraient toujours en exemple, les étudiants la jalousaient. Elma est une boule d’anxiété, elle est incapable de s’exprimer en public sans paniquer, elle fuit les réunions. Lorsqu’elle devient « Lady Astronaute » sans être encore allée dans l’espace, elle est obligée de passer à la télévision. Mary Robinette Kowal dresse le portrait d’une femme américaine des années 50, certes exceptionnelle, mais obligée de prendre des tranquillisants pour mener à bien sa mission, et obligée de cacher le fait qu’elle prend des médicaments. Elma est en butte à l’animosité du premier astronaute, qui lui affirme qu’elle n’ira jamais dans l’espace, il s’y engage. C’est bien la condition féminine qui est ici interrogée.

Vers les étoiles est un pur roman SF, et un vrai roman féministe. Un épisode particulièrement marquant à propos du sexisme est l’entraînement en piscine : les photographes de presse sont conviés à la séance, et les aspirantes astronautes – on les appelle les astronettes – doivent effectuer les exercices en bikini. Lorsqu’il est question d’envoyer – enfin ! – une femme dans l’espace, on choisit la candidate brésilienne : elle a tous les diplômes et toutes les qualités requises, mais elle est aussi… reine de beauté ! Un roman, donc, qui met l’accent sur les difficultés des femmes à se faire une place dans le monde masculin de l’ingénierie de pointe, et une place dans le monde du travail, tout simplement. Qui met l’accent également sur les traumatismes particuliers à surmonter et dépasser, sur des préjugés hélas toujours en vigueur : être femme, être juif-juive, être noir-noire, être asiatique… Face à l’urgence de la situation – sauver le monde, rien que ça – les préjugés prédominent. Le fait de mettre en relief ces difficultés alors qu’il s’agit de sauver l’humanité renforce l’inanité des préjugés. Elma saura surmonter ses craintes et ses troubles pour trouver sa place : elle s’envolera, bien sûr, pour la Lune, et deviendra véritablement Lady Astronaute. La suite de ses aventures, nous la découvrons dans le roman Vers Mars, ma prochaine lecture. 

Mary Robinette Kowal parvient à tresser la SF avec le sociétal, et c’est une réussite. Son roman a d’ailleurs été distingués par de nombreux prix : prix Hugo, prix Locus, prix Nebula, prix Sidewise, prix Julia Verlanger… Courez lire les aventures de Lady Astronaute !

*

NB : Mary Robinette Kowal est, par ailleurs, marionnettiste. Et sur son compte Instagram, vous pouvez la voir converser avec son chat, au moyen d’un tapis recouvert de boutons-poussoirs qui prononcent des mots lorsque le chat marche dessus. C’est saisissant.