mardi 16 novembre 2021

Regards croisés (41) – Après de Stephen King

Regards croisés

Un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville

Stephen King, Après, traduit de l’anglais (USA) par Marina Boraso, éd. Albin Michel, 3 novembre 2021. 

 

Ça partait bien, un peu tranquille : un gamin « voit les morts », comme dans le film Sixième sens. C’était traité pépère, avec toutes les péripéties et tous les empêchements requis pour un roman allant un train d’enfer et d’émotion à la fois : la mère célibataire travaillant dans le milieu de l’édition, son amante flic un peu border line, l’oncle en maison de repos pour cause d’Alzheimer, l’ancien voisin professeur émérite de littérature, veuf depuis peu, l’épouse tout juste défunte du gentil voisin qui explique à Jamie, le gamin héros de l’histoire, où elle a rangé ses boucles d’oreille introuvables… Une  belle ambiance, il n’y avait rien à redire. On est à New-York, un fou furieux pose des bombes un peu partout, est abattu mais a laissé un dispositif actif quelque part dans la ville, la fliquette amante de la mère demande au gamin d’aller interroger le fou furieux, et celui-ci lui dit où est la dernière bombe, et tout le monde s’en sort sain et sauf.

Ça partait bien, oui. Un King un peu tranquille, avec des allusions appuyées à la pop culture et ce savoir-faire du king Stephen quand il s’agit de mettre en scène des ados. Et puis… et puis ça capote, à un peu plus de la moitié du bouquin. Parce qu’il y a surcharge de motifs mal exploités, ou non exploités. On se demande où on va. Ça part dans tous les sens. Et ça n’arrive nulle part.

Le motif le moins exploité est sans doute la possession d’un mort par un démon. On connaissait des vivants possédés, dans les romans et dans les films. Etre mort et devenir possédé, voilà qui ouvrait des perspectives. On reste sur sa faim.

Le motif le plus mal exploité du roman est sans doute celui de la quête du père. Jamie, le petit héros d’Après ne sait pas qui est son père, sa mère ne lui en a jamais parlé, et son oncle, dans sa maison de repos, n’a plus assez de lucidité pour pouvoir lui dire la vérité. Etrangement, cette question de « qui est mon père ? » est peu présente tout au long du roman, et la réponse à la question tombe comme un cheveu sur la soupe. La réponse est pourtant un coup de tonnerre, qui n’ébranle en rien la structure narrative, qui n’explique même pas le « don » du gamin, celui de pouvoir discuter avec les morts avant qu’ils disparaissent pour de bon. Ou alors, ce don-là n’est-il indispensable que pour apprendre l’indicible, mais si c’est le cas, Stephen King n’a pas, dans ce roman, usé de son incroyable talent de conteur. Et, pour couronner le tout, la fliquette amante de la mère de Jamie suit une trajectoire de descente aux enfers à peine crédible, outrée.

Ça partait bien, et ça finit en n’importe quoi.

On connaît la courbe de température des publications de Stephen King : des hauts et des bas, des pics et des abîmes. Chaque fois que j’entame un nouvel opus de King, je m’attends à retrouver les grandes sensations de Simetierre, de 22/11/63, ou du Fléau, pour ne citer que trois titres, auxquels j’ajouterai un quatrième, Rose Madder, qui est, je crois, mon roman préféré de cet auteur. Et un cinquième, allons-y, pour faire bonne mesure : La petite fille qui aimait Tom Gordon. Cette fois-ci, avec Après, je n’ai pas bronché, pas adhéré au truc, pensé que c’était, quand même, traiter l‘intrigue à la va-comme-je-te-pousse. King déroule son truc mais, bon, on sait qu’il sait faire mieux, et là, on lui en veut un peu. Ou beaucoup.

Ai-je trouvé quelque chose à sauver dans ce tout petit roman ? Peut-être l’idée que les gens, une fois morts, et pour peu qu’on les interroge avant qu’ils partent pour un « après » qui n’est pas exploité, disent toujours, toujours, la vérité. La mort, dans Après, est le royaume de la vérité. Et c’est comme ça que le petit garçon devenu ado apprend qui est – était – son père. 

Je ne vois qu’une explication à la publication de ce roman, c’est qu’il amorce le déploiement du personnage du petit héros. Une sorte de trajectoire littéraire inverse de celle de Danny Torrance : le petit Danny de Shining est bien plus intéressant que le Danny devenu grand de Doctor Sleep. Espérons que si nous retrouvons le petit Jamie Conklin dans une suite, un de ces jours, il évolue dans un univers littéraire plus intéressant que celui d’Après, où nous l’avons découvert. Sinon, nous l’oublierons bien vite. 

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Lire l’article de Virginie Neufville