La girafe est une
élégance. Voilà ma définition de cet animal qui me fascine depuis toujours, je
crois. Que Dalí ait peint des éléphants montés sur des jambes girafines est une
image surréaliste, et une représentation de l’humain imaginaire. Lourdeur et fragilité de l’hybride dalinien. Dalí a peint
aussi une girafe en feu, symbolique de la guerre civile. La girafe, quoi.
Signifiante et symbolique. Quand je vais
faire un tour au Parc de la tête d’or, dans ma ville, parc qui abrite un zoo
pensé, mis en forme et en scène, je vais saluer ces deux espèces-là : les
girafes, et les éléphants. Qui incarnent, me semble-t-il, les deux extrêmes d’une
flèche indiquant l’infini dans les deux sens : la grâce et la force. Deux
animaux qui paraissent tout droit sortis d’un bestiaire imaginaire, médiéval. Deux
inventions poétiques, mais non, ce ne sont pas des inventions.
On connaît
l’expression « peigner la girafe ». On ignore peut-être que cette
expression a une origine historique – sans doute fausse – et une explication
métaphorique. En 1826, le pacha d’Egypte offre au roi Charles X une girafe.
Cette première girafe vivante arrivant sur le sol français est accueillie à
Paris le 30 juin 1827, après avoir traversé la mer et une bonne partie de la
France. « Peigner la girafe », c’est signifier que l’on ne fait rien,
à l’instar du gardien du Jardin des Plantes à qui l’animal est confié à
l’époque. Mais, si l’on considère la forme de la bête, son cou si long, si
étrange, si évocateur de l’anatomie
masculine, « peigner la girafe » prend un tout autre sens.
Eric Poindron publie
ce mois-ci un livre bâti tout en sensibilité, et intitulé L’Ombre de la girafe. Poindron ne peigne pas la girafe, il nous la
peint (je reprends ici une faute de français très répandue, sans doute due à ce
foutu gérondif « peignant », qui s’applique aux deux verbes. On se
souvient peut-être qu’une des aventures de San Antonio s’intitule En peignant la girafe). Ou nous la
dépeint. La girafe est pour lui un motif d’imaginaire et d’enfance, de
littérature et d’exploration, de surprises et d’interrogations.
Le livre de
Poindron est une sorte de pêle-mêle qui dessine un chemin personnel. Les
girafes font partie de l’histoire de sa famille, de ses émerveillements d’enfance,
et de ses recherches et découvertes au fil des lectures et des déambulations. Avec
Poindron, on prend la route, réellement, on explore la Champagne où la girafe a
aussi son territoire – quelle histoire que celle de François Le Vaillant,
explorateur et ornithologue du XVIIIème siècle, né à Paramaribo et mort dans la
Marne ! Dans L’Ombre de la girafe,
on passe, comme du coq à l’âne, de la girafe au cirque, du rhinocéros à
l’autobiographie : « J’ai vingt ans, j’habite rue Geoffroy-Hilaire et
je suis veilleur de nuit chez un grand couturier. » Geoffroy
Saint-Hilaire ? Celui-là même qui a été chargé de conduire de Marseille à
Paris la girafe vivante offerte par le pacha d’Egypte à Charles X ? Oui,
décidément, Poindron est cerné par les girafes… Il faut aller lire ce petit
livre tout de tendresse et de sensibilité, construit sur la digression et le
retour sur l’enfance, tout empreint d’imaginaire et de références on ne peut
plus sérieuses. On pensera, en lisant L’Ombre
de la girafe, au roman Pourquoi les oiseaux meurent de Victor Pouchet, publié l’année dernière aux éditions Finitude – Pouchet est d’ailleurs cité dans les remerciements, en fin
d’ouvrage.
L’ombre de la
girafe ne dit rien des taches de l’animal, comme l’ombre du zèbre ne révèle en
rien ses zébrures. Le titre du si joli livre d’Eric Poindron est symbolique à
plus d’un titre. Voilà une invitation à se souvenir de son enfance et à la rêver,
à étudier l’Histoire et à la raccrocher à sa propre histoire. A explorer,
aussi, les confins sans frontières de son imagination, en toute sensibilité.
Eric Poindron, L’Ombre de la girafe,
éd. Bleu autour, 7 juin 2018, 120 p.