Frédéric Beigbeder, Un roman français,
prix Renaudot, éd. Grasset, 2009, et éd. du livre de poche, 2010.
Sur la couverture,
une aquarelle. Elle représente un enfant d’une dizaine d’années, sorte
d’angelot tristounet au regard limpide et mélancolique. Il s’agit d’un portrait
de l’auteur, peint par Nicole Ratel en 1974. Cette dame au chignon gris, vivant
dans un appartement gris et offrant à ses petits modèles des biscuits mous
extraits d’une boîte en fer gris devait être assassinée peu après par son mari,
alors qu’elle venait de lui annoncer qu’elle le quittait pour un autre. Ce qui
fait dire – écrire – à Frédéric Beigbeder : « la dernière personne
qui a peint mon portrait est morte assassinée. » Un roman français est une sorte d’autobiographie. Disons « une
sorte », puisque l’écrivain confesse dès le début du récit son
amnésie : il ne sait rien de ses années d’enfance, il n’en a rien retenu.
Ecrire son autobiographie, est-ce brosser son portrait ? En sortira-t-on
vivant, ou assassiné comme la portraitiste de la rue Jean-Mermoz ?
On connaît
l’histoire : Beigbeder et son ami « le poète » – un romancier en
vue, lui aussi, capable de citer Marx et Baudelaire aux flics – sont arrêtés
alors qu’ils sniffaient un rail de cocaïne, en pleine rue et pleine nuit, sur
le capot d’une Chrysler. Les deux amis sont séparés, Frédéric se retrouve en cellule
de dégrisement, dans un préfabriqué jouxtant le commissariat du VIIIe
arrondissement, à deux pas de l’Elysée. Beigbeder se découvre claustrophobe, et
pour endiguer l’angoisse de l’enfermement il tente de revenir sur son passé, et
sur la trajectoire qui l’a conduit à se retrouver là, chez les flics. Nulle
gloriole chez lui, nulle posture rigolarde ou vantarde. Au contraire, une
préoccupation de chaque instant, malgré la stupeur et les brumes de la drogue,
à propos de sa fille qu’il doit aller chercher à la sortie de l’école le
lendemain, de son amoureuse qu’il ne peut pas appeler car on ne lui a autorisé qu’un
seul coup de téléphone, de son chat que personne n’a nourri et qui doit crever
de faim. Beigbeder est un tendre.
La réclusion en
cellule devient un temps de retraite. Oh, il n’en prend pas conscience tout de
suite, l’auteur, l’animateur de Canal +. Il compte les secondes comme il
comptait les moutons, enfant, pour s’endormir. Il n’a rien à lire, et rien pour
écrire. Il se rend compte, soudain, qu’il n’a aucun souvenir d’enfance – un des
policiers lui expliquera que la cocaïne a pour effet, entre autres, d’effacer
les souvenirs. Comprenant qu’il n’a vécu jusqu’à présent que dans un présent
frénétique et plus ou moins vide, il tente de « défaire le chemin »,
comme disent les Québécois, de remonter en arrière. La première image qui
surgit est celle de son grand-père lui apprenant à pêcher la crevette sur les
plages basques. De ce mince souvenir vont remonter l’enfance retrouvée, la
rivalité avec le frère, la mise en parallèle de l’enfance et de la jeunesse
d’un enfant de divorcés avec les émissions de télévision de l’époque, et les
illustrés, collections de SF et encyclopédies dont Frédéric était friand.
L’autoportrait-de-l-auteur-en-garde-à-vue
ne se cantonne pas à ses seuls souvenirs retrouvés. C’est l’histoire d’une lignée,
sur plusieurs générations, qui nous est donnée. Familles d’aristocrates et de
grands bourgeois, héros morts à la Grande Guerre, maurassiens cachant des Juifs
dans les années 40, cantatrice et propriétaires de sanatoriums pyrénéens
rappelant La Montagne magique, mère
divorcée trimant sur des traductions de la collection Harlequin, raouts où se
croisent stars du cinéma et étoiles du surf ou de la voile… Un roman français est aussi le roman du
XXe siècle écrit par un enfant du siècle.
Une tendresse
infinie court sur toutes les pages. Aucun apitoiement, aucune rancune, mais un
amour immense pour les siens que Beigbeder confesse, peut-être pour la première
fois. Qu’importe que les souvenirs soient retrouvés ou inventés – réinventés.
Le fil rouge d’Un roman français est avant
tout l’amour inconditionnel de Beigbeder pour sa fille, à qui, dans un épilogue
solaire, il apprend à faire des ricochets sur les vagues.
*
NB : Frédéric
Beigbeder rencontrera les élèves d’une classe de mon lycée le 31 mai, dans le
cadre des Assises Internationales du Roman qui se tiennent à Lyon. Comme chaque
année, les lycéens auront écrit un article sur ce livre, durant une séance
d’atelier d’écriture que je co-animerai avec leur professeur de Lettres. J’aime
beaucoup ce dispositif des AIR, qui nous a permis déjà de lire et de rencontrer,
entre autres, Chantal Thomas, et par deux fois Tristan Garcia.