Pierres Desproges, Encore des nouilles,
chroniques culinaires, éd. Les Echappés, 18 septembre 2014, 128 pages.
« Le jour de la mort
de Brassens, j’ai pleuré comme un môme, alors que quand j’ai appris la mort de
Tino Rossi, j’ai repris deux fois des nouilles », déclarait Pierre
Desproges sur scène. Au-delà de la pirouette, on remarquera la constante
nouillesque. Les éditions Les Echappés proposent un recueil des chroniques culinaires
que Desproges avait publiées dans le très sérieux Cuisine et Vins de France, au grand dam de quelques abonnés qui
avaient confié à la rédaction qu’ils déchiraient la page réservée au procureur
des Flagrants délires avant
d’attaquer la lecture de la revue. Desproges le malapris, l’incorrect, le
réjouissant. Le retourneur de langue française. Dans ces chroniques culinaires,
il est égal à lui-même : désespéré et rieur, rieur parce que désespéré.
Les nouilles sont des
pâtes. Où mange-t-on habituellement des pâtes ? En Italie. Desproges, lui,
alors qu’il pensait découvrir une gastronomie canadienne étrange et pittoresque
lors d’un voyage au Québec, y déguste en fait de meilleures pâtes qu’à Venise.
Et, pirouettant, ajoute qu’il n’est surpris qu’à moitié, puisque la meilleure paëlla
qu’il ait dégustée, c’est au pied de la cathédrale de Strasbourg. Tout est à
l’avenant dans ces chroniques : de l’humour, bien sûr, beaucoup d’absurde
et de contre-pied, de fausses confidences sur une vie personnelle quotidienne
réinventée. Et pour arroser ces somptueuses agapes qui mêlent dans un joyeux
tourbillon le fond (de veau) et la forme (d’Ambert) – la lectrice fait ce
qu’elle peut, pardon… – du vin, de Bordeaux pour le rouge, de Chablis pour le
blanc. Desproges possédait une cave magnifiquement garnie et dévotement
entretenue. Parfois, il allait parler à ses bouteilles. Parler vraiment, comme
en confidence. La femme la plus merveilleuse, la plus attendrissante, décrite
dans sa quarantaine à l’orée de sa défection, fleurant le Guerlain,
intelligente de surcroît, pouvant disserter sur Darius Milhaud, devient une
« conne » dès lors qu’elle verse de l’eau dans son verre de
saint-émilion. Il y a, dans cette chronique intitulée
« L’Aquaphile », en quelques pages, quelque chose du renversement de la
situation Swann/Odette, et toute la colère du malentendu.
Le livre, imprimé sur
belles pages en papier glacé, est illustré par des dessins de Cabu, Catherine,
Charb, Luz, Riss, Tignous et Wolinski. Chacun, dans le style qui lui est
propre, s’en donne à cœur-joie. Juste un exemple : le texte hilarant – et
éminemment littéraire, consacré à La Fontaine – intitulé « La moelleuse
onctuosité normande » est accompagné de dessins de Catherine. Sur l’un
deux, un corbeau vêtu en péripatéticienne exhibe une poitrine en forme de
calendos du plus joyeux effet.
Un recueil délectable, qui
permet au lecteur de découvrir de nouveaux textes de Pierre Desproges – sauf
s’il était abonné à Cuisine et Vins de
France…