vendredi 19 septembre 2014

Encore des nouilles de Pierre Desproges



Pierres Desproges, Encore des nouilles, chroniques culinaires, éd. Les Echappés, 18 septembre 2014, 128 pages.

« Le jour de la mort de Brassens, j’ai pleuré comme un môme, alors que quand j’ai appris la mort de Tino Rossi, j’ai repris deux fois des nouilles », déclarait Pierre Desproges sur scène. Au-delà de la pirouette, on remarquera la constante nouillesque. Les éditions Les Echappés proposent un recueil des chroniques culinaires que Desproges avait publiées dans le très sérieux Cuisine et Vins de France, au grand dam de quelques abonnés qui avaient confié à la rédaction qu’ils déchiraient la page réservée au procureur des Flagrants délires avant d’attaquer la lecture de la revue. Desproges le malapris, l’incorrect, le réjouissant. Le retourneur de langue française. Dans ces chroniques culinaires, il est égal à lui-même : désespéré et rieur, rieur parce que désespéré.

Les nouilles sont des pâtes. Où mange-t-on habituellement des pâtes ? En Italie. Desproges, lui, alors qu’il pensait découvrir une gastronomie canadienne étrange et pittoresque lors d’un voyage au Québec, y déguste en fait de meilleures pâtes qu’à Venise. Et, pirouettant, ajoute qu’il n’est surpris qu’à moitié, puisque la meilleure paëlla qu’il ait dégustée, c’est au pied de la cathédrale de Strasbourg. Tout est à l’avenant dans ces chroniques : de l’humour, bien sûr, beaucoup d’absurde et de contre-pied, de fausses confidences sur une vie personnelle quotidienne réinventée. Et pour arroser ces somptueuses agapes qui mêlent dans un joyeux tourbillon le fond (de veau) et la forme (d’Ambert) – la lectrice fait ce qu’elle peut, pardon… – du vin, de Bordeaux pour le rouge, de Chablis pour le blanc. Desproges possédait une cave magnifiquement garnie et dévotement entretenue. Parfois, il allait parler à ses bouteilles. Parler vraiment, comme en confidence. La femme la plus merveilleuse, la plus attendrissante, décrite dans sa quarantaine à l’orée de sa défection, fleurant le Guerlain, intelligente de surcroît, pouvant disserter sur Darius Milhaud, devient une « conne » dès lors qu’elle verse de l’eau dans son verre de saint-émilion. Il y a, dans cette chronique intitulée « L’Aquaphile », en quelques pages, quelque chose du renversement de la situation Swann/Odette, et toute la colère du malentendu.

Le livre, imprimé sur belles pages en papier glacé, est illustré par des dessins de Cabu, Catherine, Charb, Luz, Riss, Tignous et Wolinski. Chacun, dans le style qui lui est propre, s’en donne à cœur-joie. Juste un exemple : le texte hilarant – et éminemment littéraire, consacré à La Fontaine – intitulé « La moelleuse onctuosité normande » est accompagné de dessins de Catherine. Sur l’un deux, un corbeau vêtu en péripatéticienne exhibe une poitrine en forme de calendos du plus joyeux effet.

Un recueil délectable, qui permet au lecteur de découvrir de nouveaux textes de Pierre Desproges – sauf s’il était abonné à Cuisine et Vins de France