mercredi 21 mai 2025

L’Avenir de Stéphane Audeguy

Stéphane Audeguy, L’Avenir, éd. du Seuil, coll. Fiction et Cie, janvier 2025.

Dès le début, ça bifurque. On suit un vieux Chinois fasciné par la Joconde qui va au Louvre pour la première fois. Devant ses yeux le tableau tombe en poussière — enfin, la peinture, parce que le panneau de peuplier est intact — puis on suit le conservateur des peintures italiennes du XVIe du Louvre, puis… et tout s’enchaîne. On ne sait pas quand se déroulent exactement les événements de ce roman. Disons que L’Avenir débute dans un futur (très ?) proche où l’Allemagne vit sous le IVe Reich, la Russie est néo-tsariste et les deux Corée sont réunies. Ça n’a pas vraiment d’importance, ni d’incidence sur ce qui nous est conté.

Avez-vous lu Le Dernier Homme de Mary Shelley ? C’est un long conte, lui aussi dystopique, comme L’Avenir d’Audeguy. Les deux trames sont à peu près les mêmes, sauf que le début de la Catastrophe, chez Audeguy, n’est pas dû à la peste et à une pandémie, mais à la destruction spontanée des œuvres d’art, comme on parle de combustion spontanée. D’abord les portraits et les représentations humaines, puis les paysages, puis tout le reste. Et le fait que ces représentations disparaissent entraîne la destruction du réel : les poussières suscitées par l’effondrement des œuvres conduisent à l’effondrement de l’humanité. 

Stéphane Audeguy nous emmène loin, et vite. Loin tout autour de la Terre, et loin dans le temps, par des remontées généalogiques et une diégèse post-apocalyptique. Vite, car en courts chapitres rapides écrits dans une langue somptueuse qui évite tout effet spectaculaire, Audeguy dessine une épopée, celle de l’art et du paysage, celle des tableaux volés et cachés par les nazis, celle des sans-grade ballotés d’un continent à l’autre  et d’une misère à l’autre. 

Tout finit à Corfou, dans un paradis pré-édénique d’avant le langage. L’homme central du roman y trouve son idéal en art : un nu dans un paysage. Juste avant, on s’est acheminé vers Marseille, poussé par la littérature : lui a lu, dans une traduction allemande, Le Comte de Monte-Cristo, et n’en a gardé que la description du quartier des Catalans. Elle, la femme du couple en devenir, a découvert Suzanne et le Pacifique de Giraudoux, et cherche l’île où vivre en Robinsonne. Mais L’Avenir n’est pas un roman d’aventures, ni même un roman post-apocalyptique. Ce texte merveilleux, inclassable, à la structure impeccablement centripète et centrifuge à la fois, est une réflexion sur le regard que nous portons sur l’art et les choses, sur la représentation, sur la vérité de la chair et de l’érotisme, sur l’Histoire et sa petite importance. 

Les références sont nombreuses, évidentes ou cryptées, et lorsqu’elles sont cryptées, elles ne le sont pas par malice. Parce que, là encore, ça n’a pas d’importance. L’homme aux multiples aventures érotiques fait naufrage, comme Don Juan. Mais il n’a défié personne, ni père ni Dieu, il échoue simplement là où il doit être, dans les bras d’une déesse, sur une plage de Marseille, avant de rejoindre Corfou. La Méditerranée, mer et mère de nos civilisations, devient le creuset du renouveau. 

Courez lire L’Avenir. Vous serez émerveillés par le propos et le virtuosité de la narration.