lundi 6 janvier 2025

Bristol de Jean Echenoz

Jean Echenoz, Bristol, éd. de Minuit, janvier 2025, 208 p.


Bristol est un cinéaste d’avant-dernière zone qui se propose d’adapter un roman d’aventure nunuche publié par une multi-bestseller, laquelle lui impose comme actrice principale une jeune comédienne nommée à la scène Céleste Oppen. Bristol est un type un peu nonchalant, pusillanime. Voilà pour le fond du roman.
Encore que, on ne sait pas trop où il se situe, ce fond, ni même s’il y en a un. Une ronde de personnages évolue au fil des chapitres, de Paris à l’Afrique en passant par Nevers. Parmi eux se détachent Geneviève, qui a exercé cent métiers et qui, dans le roman, en exercera au moins trois, et Brubec, le chauffeur de l’écrivaine, qui lui aussi est polyvalent. Brubec et Bristol se prénomment tous deux Robert, et disons que Bristol est un peu l’aventure de Robert & Robert.
La scène d’ouverture promet une enquête policière : un homme nu tombe du cinquième étage de l’immeuble de Bristol, à l’instant même où le cinéaste sort de chez lui. Mais d’enquête policière il n’y en aura point, ou alors à peine effleurée et incarnée par un enquêteur tombant sous le charme de l’habitante du troisième étage, actrice en déclin sans jamais avoir atteint son zénith, désormais versée dans le bien-être façon yoga et présidente de l’association des locataires.
Bristol semble un texte un peu foutraque, mais ce n’est pas le cas. C’est un texte qui tourne rond – il suffit de tourner la dernière page pour s’apercevoir à quel point la boucle est bouclée. Bristol n’est pas le roman de l’itinéraire de Robert Bristol, il est plutôt celui de Céleste Oppen, pâle figure mais personnage central.
On retrouve, en surmultiplié, le savoir-faire de Jean Echenoz, et son détachement apparent de l’intrigue. Mais ce n’est pas pour cela qu’on l’aime, Echenoz. On l’aime pour son sens de la phrase, pour son écriture. De vocatifs en anacoluthes, il narre avec un talent fou une histoire sans importance, si ce n’est sans queue ni tête. La surprise ne naît pas d’une péripétie d’intrigue, elle surgit au détour d’une virgule. Et qu’un écrivain nous surprenne avec son écriture, c’est bien ce que l’on attend de la littérature.

Extrait :

« On peut supposer qu’après le départ de Brubec la solitude en voiture n’a plus la même saveur, gâtée par l’amertume des sympathies interrompues, on peut imaginer que le confort de la rue des Eaux commence à manquer à Bristol, on peut émettre encore diverses hypothèses, on peut aussi s’en foutre éperdument. Quoi qu’on décide à cet égard, toujours est-il que trente minutes plus tard Robert Bristol est en train de rouler sur l’autoroute A20 par laquelle, en principe, c’est quatre heures jusqu’à Paris.

Ça nous en prendra cinq car ça bouchonne à partir de Châteauroux. »