mardi 22 avril 2025

Le Cinquième Diamant d’Eric Faye

Eric Faye, Le Cinquième Diamant, mars 2025, éd. du Seuil, 352 p.

Le thème principal de ce roman stupéfiant est, sans doute, la possibilité d’une vie extraterrestre. Deux des personnages principaux sont un astrophysicien et une astrobiologiste américains, un couple de chercheurs qui travaillent sur une exoplanète susceptible d’abriter une forme de vie. Au tout début du roman, nous assistons à un épisode singulier : un black out a lieu dans un silo russe abritant des missiles nucléaires, sans possibilité d’enclencher les systèmes de secours. Des objets lumineux, capables de tourner à angle droit, sont observés. Et puis il y a cette mannequin russe, invitée dans un hôtel d’Engadine par un oligarque, qui s’enfuit à la barbe des autorités après que son protecteur a été empoisonné. Tout cela donne un mélange apparemment hétéroclite, un roman qui balaieraient à la fois  les spectres de la science fiction, de la vulgarisation scientifique, et de l’espionnage. Mais Le Cinquième Diamant est avant tout un roman politique.

Nous sommes entre les deux mandats de Trump, sous la présidence d’un vieux président sage, qui n’est jamais nommé. Janet, l’astrobiologiste, manifeste devant la Maison Blanche car ses conclusions sur la possibilité d’une vie extraterrestre ne rencontrent aucun soutien, et elle trouve auprès du vieux président une oreille attentive. Lorsqu’elle parle de lui, elle parle de Lui avec une majuscule, Il parle et Il l’écoute. Il est fait plusieurs fois référence au conflit en Ukraine, et à l’assaut du Capitole. Les deux chercheurs sont victimes d’agression de la part de la frange la plus conspirationniste, la plus Qanon des USA. Les agresseurs agissent ainsi sous prétexte qu’il est impossible, impensable, que la vie existe ailleurs que sur Terre, car alors, qu’en est-il de Dieu, et des fondements de la religion ? Si la vie existe ailleurs dans l’univers, que deviennent Adam et Eve, qui sont à la base de l’humanité ? Et  quid du péché originel ? La Bible ne dit rien des exoplanètes… Sans compter que Janet est noire, et son mari latino. Le roman est aussi politique dans le sens qu’il interroge la démocratie et les régimes totalitaires. La démocratie est transparente et le totalitarisme veut maintenir le peuple dans l’ignorance. Dans un ultime discours à la NASA, le vieux président ouvre les perspectives en promettant l’accès libre aux archives secrètes sur les manifestations extraterrestres, tout en doutant que l’administration suivante continuera dans ce sens. Au Kremlin, en revanche, on s’obstine à nier toute manifestation singulière d’extraterrestre, alors qu’il y en a eu, comme ailleurs dans le monde. Cette question est toujours classée secret-défense.

Le roman aborde également les rivalités dans le couple. Janet et Michael vivent une entente parfaite. Au fil du roman, lorsque Janet seule affronte les médias et mène le combat pour la reconnaissance de leurs découvertes, Michael prend conscience qu’il s’est toujours tenu dans l’ombre de son épouse. Il se souvient même que c’est lui qui a fait la découverte, et qu’il l’a offerte à sa femme, en cadeau. Il le regrette, se sent frustré, mais ce n’est qu’un malaise passager.

Eric Faye s’appuie sur une documentation solide et sur les toutes récentes découvertes. On pourrait penser que le roman est un peu frustrant, parce qu’on n’assiste à aucune rencontre du troisième type. Les recherches restent théoriques, et la vie lointaine, si elle existe, très lointaine. Mais c’est justement ce bouillonnement contradictoire de la politique d’ici bas et de la recherche scientifique la plus pointue qui donne une partie de son sel à ce roman virtuose. Le mélange des genres donne un ensemble d’une belle cohérence, et le lecteur est happé par un roman très singulier, très contemporain dans son sujet, et ouvrant sur des interrogations et des espoirs. 

 


mercredi 2 avril 2025

Un beau diable de Georges-Olivier Châteaureynaud

Georges-Olivier Châteaureynaud, Un beau diable, éd. Grasset, mars 2025, 288 p.

Qui est Fallen, cet homme qui roule en limousine, caractérisé par des sourcils proéminents, des lèvres minces, un regard aigu, un accent inidentifiable ? Pourquoi veut-il savoir à tout prix si Florian Prairial, acteur débutant, s’est senti possédé par son rôle en incarnant Satan à l’écran ? Dans son nouveau roman, Georges-Olivier Châteaureynaud nous emmène aux limites du fantastique, par petites touches malignes et érudites. Dans Un beau diable, il est question d’un jeune homme à peine ambitieux, sans aspiration particulière, à qui le diable propose de signer un contrat pour un rôle. Avec une telle assise, on pourrait s’attendre à une énième variation sur le Faust de Goethe. Mais en choisissant un poème de Victor Hugo comme base  de son intrigue, Châteaureynaud renverse les attendus.