Margaret Atwood, Le Temps du déluge (The year of the flood), traduit de
l’anglais (Canada) par Jean-Daniel Brèque, Robert Laffont, 2012 et éd. 10/18,
2014.
Une théologie en vert
Imaginez une religion qui
annonce le désastre. Un martyrologe où l’on trouverait Saint Jacques Cousteau
et Sainte Dian Fossey. Un livre des
cantiques où l’on célèbrerait les « taupes petites et
parfaites ». Imaginez aussi des Jardiniers de Dieu, et une Genèse à
réinventer. Margaret Atwood, la grande dame des lettres canadiennes, imagine et
invente ce monde en décomposition et recomposition. Dans Le Temps du déluge, qui fait partie d’une trilogie mais que l’on
peut lire à part sans aucun problème, quelques rescapés d’une épidémie qui a
pratiquement détruit l’espèce humaine tentent de survivre. Il s’agit de trouver
à manger, et à penser. Deux femmes – Ren et Toby – emmènent le lecteur dans le
temps du présent et dans le temps d’avant. Elles ont pour point commun
d’appartenir aux Jardiniers de Dieu, mais diffèrent dans leurs caractères et
leurs motivations. L’une est un peu simplette, l’autre cherche avant tout la
sécurité.
Margaret Atwood décrit un
monde terrifiant, ravagé par les appétits des multinationales, les entourloupes
qui transforment les humains en cobaye, la course à l’autodestruction. Elle
pose sur ce monde-là un regard romanesque. Un Adam 1er, par exemple,
se répand en sermons stupéfiants. La politique, la science et la police se sont
unies pour engendrer la catastrophe, et une secte d’illuminés écolos revisite
les récits fondateurs de la Bible à sa sauce. Le lecteur découvre qui devient
Judas, et qui joue les Madeleine.
Tout récit décrivant la fin
d’un monde et l’avènement d’un nouveau est une satire du monde contemporain.
Une satire politique, économique et sociale. Margaret Atwood regarde nos excès
– le végétarisme à outrance comme les manipulations génétiques – avec humour et
provocation. Notre monde agonise, semble-t-elle nous dire, et un sursaut serait
le bienvenu. Sinon… Les récits au présent de Ren et Toby seront notre avenir.
Dans les flashbacks du roman, qui exagèrent notre présent, l’emploi des temps
du passé sonne comme un avertissement.
La théologie verte des
Jardiniers de Dieu place l’écologie sur le terrain de la foi. Il y a sans
conteste plusieurs angles de lecture de ce roman. Pour ma part, je choisis
l’angle de l’exercice de style sur le sujet rebattu de la fin des temps, de
l’eschatologie. Et, à tout prendre, je préfère les doux dingues personnages du Temps du déluge à ceux de La Route. Là où McCarthy semble ne
laisser aucun doute quant au postulat de base – la fin du monde a déjà eu lieu
–, Atwood oppose une once d’espoir – nous pouvons éviter la catastrophe.
Extrait :
« Le lendemain matin,
quand on s’est réveillés, un gigantesque cochon se tenait sur le seuil et nous
fixait en reniflant l’air de son groin rose et humide. Il avait dû entrer par
la porte et remonter le couloir. Quand il s’est vu repéré, il est parti en
courant. Peut-être qu’il avait senti les SecretBurgers rôtis, a dit Shackie.
Selon lui, c’était une espèce transgénique – MaddAddam s’était informé –, avec
du tissu humain dans la cervelle ». (éd. 10/18, p. 482-483).