Dans le lycée où
je sévis – comme dans tous les lycées de France – on tente de lutter contre les
intrusions. Il en va de la sécurité de tous. Mais, dans le lycée où je sévis,
depuis quelques jours des intrusions sont tolérées, et même encouragées. En
interne. Je m’explique :
Ma collègue de
Lettres Sylvie Marxer, très impliquée dans la transmission de la littérature,
s’efforce de montrer à des lycéens souvent rétifs à la lecture que les textes,
classiques ou contemporains, sont un bonheur que l’on peut recevoir, et offrir
en cadeau. Autour de cet enseignement engagé – qui est, ou devrait être, celui
de chaque prof de Lettres – elle a mis sur pied avec une classe de Seconde la
Brigade d’Intervention Poétique. Le dispositif en est le suivant : deux
élèves entrent dans une salle où se déroule un cours, ils déboulent dans la
classe comme s’il s’agissait d’une intrusion. Les deux intrus se présentent, et
lisent un poème à un public d’une trentaine de lycéens scotchés par la
manœuvre, comme pris au piège de l’intrusion. Mais ils ne sont pas effrayés,
ils sont au contraire admiratifs de cette audace, et ils écoutent, sages,
attentifs.
Cet après-midi,
deux jeunes filles de Seconde, donc, sont venues lire devant mes étudiants de
BTS Communication un poème de Thomas Vinau. La mise en voix était parfaitement
calée. L’une a commencé à lire le poème, puis la seconde a enchaîné, puis la
première a repris la parole, etc. Mais le changement de voix n’était pas
« cut » : les deux jeunes filles prononçaient en même temps deux
vers, avant de se passer le témoin. C’est dans ce chœur parfaitement orchestré,
qui nous a tous surpris – les étudiants et la prof – que l’émotion était la
plus forte. Comme la preuve première que la poésie est affaire de partage. Et
de chant. Et de communion. Au premier relais à deux voix, c’est comme un grand
frisson qui a parcouru l’auditoire.
L’intrusion a duré…
oh… moins de trois minutes. Disons deux minutes trente-cinq (de bonheur). Mais
la discussion qui a suivi, ensuite, en
cours de Cultures de la Communication, bien plus longtemps. Les deux jeunes
filles étaient reparties, un peu intimidées, sous les applaudissements. Mes
étudiants, eux, réfléchissaient à ce mode d’intrusion, qui résonnait en accord
avec leurs préoccupations communicationnelles. Que le support de ce happening
soit la poésie ajoutait une part d’étrange, si ce n’est de mystère, à l’intervention.
A cette intrusion si douce, et si réussie.
*
NB : C’est le professeur hôte qui invite la BIP à venir se
produire dans son cours, dans un créneau horaire. L’intrusion n’en est une que
pour les élèves qui sont alors en classe avec lui, car, bien entendu, le
professeur hôte ne prévient pas la classe qu’il va y avoir une intrusion, qui
plus est poétique – sinon, ce n’en serait plus une, et elle perdrait de son
caractère poétique.
NB2 : La classe de Seconde de Sylvie Marxer
fait partie du jury du prix Kowalski des Lycéens.