dimanche 5 novembre 2023

Jules et Joe d’Alexis Salatko

Alexis Salatko, Jules et Joe, éd. Denoël, août 2023, 288 p.

Patronyme : Dassin. Jules, le père. Joe, le fils. Alexis Salatko nous offre le point de vue du père pour mettre en évidence les relations filiales et paternelles. Le père, juif d’Odessa émigré aux USA et évoluant dans le monde du cinéma. Le fils, doué pour les études mais se sachant, se voulant artiste – écrivain, acteur, puis choisissant le show business. Ces deux-là, en fin de compte, se croisent et peinent à se parler. Lorsque le fils meurt avant le père, inversant l’ordre logique, les rendez-vous et les conversations manqués pèsent douloureusement.

Cet ouvrage nous permet d’entrer de plain pied dans l’époque du Maccarthysme. Jules Dassin, dénoncé par Edward Dmytryk, doit s’exiler, et peine à trouver des financements pour monter ses films. L’enfance de Joe est ballotée, mais Joe se sent américain. Il choisit de suivre des études universitaires aux USA et obtient un master en anthropologie dont le sujet est les Indiens Hopis. Comme son père, il prend fait et cause pour les minorités. Jules Dassin se sépare de la violoniste Béatrice Launer, son épouse et la mère de ses trois enfants, après sa rencontre avec Melina Mercouri. Voilà que le père a trouvé sa muse, tandis que le fils se cherche encore. Melina Mercouri est, à bien y regarder, la figure centrale de ce livre : elle fait le lien entre le père et le fils, noue des relations très fortes avec Joe et inspire à Jules ses plus beaux films. 

Le livre est bâti selon une chronologie précise : chaque chapitre porte la date du 20 août, de 1938 à 1981, c’est-à-dire que le livre est construit autour de la date de décès de Joe (20 août 1980). Salatko pioche dans chaque année de la vie de Joe (né en 1938) un souvenir possible de rencontre entre le père et le fils. Grâce à ce dispositif, on suit en parallèle les trajectoires de l’un et de l’autre, et la marche du monde. Et comme l’auteur choisit le point de vue du Jules Dassin, on assiste en creux aux débuts puis au succès dans le show business du fils, et en ronde bosse à la carrière du père.

Jules et Joe est l’évocation des relations père-fils, en premier lieu. Des relations pas forcément compliquées, mais distanciées par des carrières parallèles et prenantes. On croise, au fil des pages, les figures de Gina Lollobrigida, de Marguerite Duras, de Romy Schneider, entre autres. Mais également la figure du chanteur Carlos qui, par une pirouette savoureuse, fait le lien entre le père et le fils. Joe Dassin et Carlos sont de grands amis, Joe écrit des chansons pour Carlos. Jean Chrysostome Dolto (vrai nom de Carlos) est le fils de la psychanalyste Françoise Dolto, on le sait, mais aussi de Boris Dolto, kinésithérapeute réputé. Parce que son père Jules souffre du dos, Joe le met en relation avec le père de Carlos, ce qui permet à ces deux pères exilés de parler russe ensemble, pendant les séances de massage. 

Alexis Salatko, en écrivain autant qu’en scénariste, réussit à reconstituer deux réalités de l’univers du XXe siècle, celle du monde du cinéma américain et exilé parallèlement à celle des paillettes de la chanson française. Jules et Joe est un livre tendre et nostalgique sur la paternité, l’amour filial, et le temps qui file.