Karel Čapek, L’Année du Jardinier (Zahradníkův Rok, 1929), traduit du tchèque par Joseph Gagnaire, illustrations de Josef Čapek, éd. de l’aube, 10 novembre 2021, 280 p.
Ce n’est pas le jardin qui fait le jardinier. Si l’on possède un petit carré de verdure devant ou derrière sa maison, on peut déléguer la tâche d’entretien à un professionnel. Mais cultiver son jardin, quand même… on n’a jamais rien inventé de plus réjouissant, de plus satisfaisant. Le jardin, c’est le signe même de la civilisation. Et si l’on a la chance que la maison soit plantée au milieu du lopin et que l’on puisse faire le tour complet de son jardin, ça, c’est merveilleux. Le jardin se « travaille », et c’est parfois un dur labeur, mais ce n’est pas pénible. C’est, au contraire, épanouissant. La nature est un cycle, on le sait. Participer à perpétuer ce cycle, qui se fout de la mort ou presque, qui sans cesse prépare sa renaissance, humer le parfum des fleurs et l’odeur de la terre, quoi de mieux pour se sentir vivant ?
Karel Čapek, en 1929, publie une sorte d’almanach où l’on trouve moins de conseils que de raisons de méditer et de s’émerveiller. Sous sa plume, l’année se déploie de façon poétique autant que pratique. De janvier à décembre, aucun temps de repos comme nous le croyions. Janvier : attendre le dégel, mais regarder pointer les perce-neige. Février-Mars : préparer les semis, retourner la terre. Avril : « le mois béni du jardinier » : c’est le temps de la pousse, avant Mai et Juin qui sont le temps de l’éclosion. Juillet : on greffe les rosiers et l’on arrose. Août : le début du changement. Et puis voici l’automne, qui d’après Čapek est une sorte de printemps, bien plus intéressant que le premier. Et puis survient décembre, on a bouclé le cycle, il est temps de laisser la terre dormir sous son édredon de neige. Et revoilà janvier, avec ses perce-neige…
Tous les chapitres sont savoureux, car écrits avec une ironie tendre. Čapek regarde les jardins autant que les jardiniers. En août, temps de villégiature, le jardinier s’en va loin de la ville et confie son jardin aux bons soins d’un ami fidèle et sûr, en lui expliquant qu’il n’y a rien à faire ou presque, juste venir tous les deux ou trois jours voir si tout va bien. Mais, sitôt loin de chez lui et de son jardin chéri, le jardinier écrit à l’ami qu’il vaut mieux venir arroser chaque jour, et puis non, tiens, puisqu’il y a risque de sécheresse, deux fois par jour ce serait mieux, le matin vers 05:00 et en fin d’après-midi, et il faudrait aussi sarcler les allées, et surveiller les rhododendrons. L’ami fidèle et sûr se plie aux recommandations du jardinier, qui décidément ne profite pas de ses vacances mais se fait un sang d’encre pour son jardin.
« L’ami complaisant, conscient de sa responsabilité, arrose, fauche, pioche, sarcle […], il s’aperçoit avec effroi qu’ici une plante est en train de jaunir et que, là, quelques tiges se sont rompues […]. Et il maudit le moment où il a assumé ce fardeau et prie Dieu que l’automne arrive vite. »
Le jardin a été entretenu au mieux par l’ami dévoué, mais le jardinier est tout de même en colère. Et de penser, à son retour : « Comment ai-je pu […] confier mon jardin à cet imbécile ? De ma vie, je ne commettrai plus la sottise de partir en villégiature. »
Il y a, dans cette écriture joyeuse et lunaire, quelque chose de Vialatte, et aussi quelque chose de l’univers de Jacques Tati, renforcé par les illustrations du frère de l’auteur, Josef :
Voilà un livre absolument délicieux, à déguster, et à offrir autour de soi, tant aux jardiniers qu’aux urbains. Il y est question du temps, des deux temps, celui qui passe et celui qu’il fait. Etre jardinier, c’est se confronter, avec passion et obstination, aux deux acceptions du terme. Karel Čapek choisit la prose poétique et ironique pour poser sur l’homme un regard d’une grande tendresse.