Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration
avec Virginie Neufville
Rick Riordan, Percy
Jackson, le voleur de foudre (Percy Jackson and the Olympians, Book one, The
lightning thief), traduit de
l’anglais (USA) par Mona de Pracontal, éd. Albin-Michel, collection Wiz, 2006,
432 pages.
Il est assez rare, qu’un(e)
ado vienne me parler, spontanément, d’un livre. Il est encore moins fréquent
qu’une ado, certes versée en mythologie et déjà grande lectrice, arrive à me
convaincre de lire un roman pour la jeunesse. Héloïse, 14 ans, commence à me
raconter son enthousiasme pour la série des Percy Jackson – dont je n’ai jamais
entendu parler. Elle mentionne Zeus et Dionysos, fait référence à Méduse et aux
Enfers, évoque un gentil satyre et une fille d’Athéna. A ma pernicieuse
question – mais je suis déjà ferrée – : « et dans ton roman, là, on y
jure par le Styx ? » Héloïse répond que oui, bien sûr. Je rentre chez
moi avec le livre dans mes bagages, prêté par l’ado-lectrice versée en
mythologie. Et je ne suis pas déçue ! J’en dévore la moitié durant le
temps du trajet en TGV, et je le termine dans la foulée, happée autant par
l’histoire que par les thèmes sous-jacents. Tout cela est rudement bien fait,
bien mené, bien pensé.
Percy Jackson est un enfant
de 12 ans qui ne sait rien de son père, qui vit entre une mère aimante et un
beau-père désastreux (joueur de poker, dévoreur de pizzas, buveur, cogneur).
Percy est dyslexique et souffre d’un trouble de déficit d’attention. Il n’est
pas bon à l’école, se fait renvoyer invariablement de son établissement à
chaque fin d’année. Lorsque commence l’histoire du Voleur de foudre, Percy est pensionnaire dans un institut privé
pour enfants à problèmes, il n’a qu’un seul ami, le gentil Grover qui est
dispensé de gym parce qu’il a une maladie musculaire des jambes. Lors d’une
sortie scolaire, le professeur de latin aide indirectement Percy à combattre la
prof de maths qui s’est transformée en monstre. Un monstre bien
identifiable : elle est l’une des Furies. Passons sur les péripéties du
début, qui nous font assister à l’attaque du Minotaure, à la mort de la mère de
Percy et au dévoilement des jambes de Grover (ce sont des jambes velues
terminées par des sabots de chèvre…).
On l’aura compris :
les dieux, demi-dieux et créatures mythologiques sont bien vivants aux USA en
ce XXIe siècle. Vivants, évidemment. Un philosophe allemand a affirmé que Dieu
était mort, mais pas les dieux… surtout pas ceux de l’Olympe ! L’Olympe,
de nos jours, sachez-le, se situe au dernier étage de l’Empire State Building.
Mais pas le dernier étage que vous connaissez, non. Le 600ème,
auquel l’on n’accède qu’avec une carte spéciale.
Chiron instruisant Achille (Herculanum) |
Percy est poursuivi par des
monstres – depuis sa plus tendre enfance, mais il n’en avait pas conscience –
car il est le fils d’une mortelle et d’un dieu. Il ignore lequel. Pour le
protéger, Grover et le prof de latin l’accueillent dans une sorte de colonie de
vacances durant l’été. Le prof de latin, lorsqu’il était en classe, se
déplaçait en fauteuil roulant. A son arrivée dans la colonie, Percy voit son
prof préféré se lever, déplier son corps : son buste est bien celui d’un
homme, mais son corps celui d’un cheval. Le prof de latin est Chiron, le
centaure précepteur d’Hercule et d’Achille. Le directeur du camp de vacances
est Monsieur D., un type mal fagoté, au parler relâché (on aura reconnu
Dionysos).
Lorsqu’on demande à Percy
de partir en quête de l’éclair originel, celui que Zeus tient dans sa main, et
qui a été volé soi-disant par Hadès, Percy voit là une façon de descendre aux
Enfers et de sauver sa mère. Il part vers Los Angeles, lieu des Enfers, avec
Grover et Annabeth, la fille d’Athéna et d’un mortel. Ils croisent Arès, le
dieu de la guerre camouflé sous l’attirail d’un Hell's Angel, et affrontent
quelques monstres.
Les aventures mythologiques
sont parfaitement amenées, incluses dans une sorte de road movie contemporain qui fait voyager les trois enfants de la
côte est à la côte ouest des USA. On remarquera que si l’Olympe est à New-York
– la ville intellectuelle – les Enfers se situent malicieusement à Los Angeles
(on y accède par un studio de cinéma…). On le sait, les dieux de la mythologie
ont une psychologie, des failles, des faiblesses. Ils nous ressemblent. Dans le
roman de Rick Riordan, Hadès n’est pas forcément intraitable, et Cerbère aime
bien jouer à la baballe…
Les aventures
mythologiques, donc, sont parfaitement menées. Elles constituent la trame, tout
à fait identifiable, du roman. Mais d’autres motifs, plus
« souterrains », sont explorés, et c’est sans doute ce qui fait la
force des aventures de Percy Jackson – comme elles font la force des aventures
d’Harry Potter. Les trois enfants lancés à la recherche de l’éclair de Zeus
poursuivent d’autres buts, plus personnels, plus universels. Percy veut ramener
sa mère du royaume des morts. Grover, le petit satyre, veut prouver que le
grand Pan n’est pas mort. Annabeth, la fille d’Athéna, a été abandonnée par son
père qui a refait sa vie et ne s’intéresse pas à elle ; elle veut vivre en
famille. Ces préoccupations sont premières dans le roman, et ne sont pas
vraiment masquées par le fond mythologique. Parfois, elles
s’entrecroisent : Percy sait à présent qu’il est le fils de Poséidon.
Lorsqu’il se retrouve en présence de son père, sur l’Olympe, les retrouvailles
sont tout en retenue. Annabeth, à la fin de sa quête, décide de tenter à
nouveau de vivre parmi ceux qui sont aussi les siens : son père et sa
nouvelle famille. Grover, satyre maladroit, acquiert assez de force pour partir
à la recherche du grand Pan.
Les demi-dieux et les
héros de Rick Riordan ont, me
semble-t-il, un avantage sur les sorciers de J.K. Rowling. Ils vont puiser plus
loin dans la culture (pour le dire très rapidement : Harry Potter est d'inspiration médiévale). La mythologie est le fondement de la culture
occidentale – on ne remerciera jamais assez les Grecs d’avoir inventé les dieux,
et les Romains de ne pas les avoir tués, mais adoptés. Croiser les
préoccupations éternelles des habitants de l’Olympe (la guerre, l’harmonie, la
force et la ruse, la débauche et la clairvoyance, etc.) et les préoccupations
contemporaines des pré-adolescents (familles recomposées, beau-père violent ou
père indifférent, deuil de la mère impossible), voilà sur quoi repose la
réussite des aventures de Percy Jackson. Les ados ne s’y trompent pas. Même
s’ils ne parviennent pas toujours à analyser leur lecture, la passion qu’ils
mettent à parler de Percy et d’Annabeth laisse transparaître une compréhension
immédiate, empathique.
La dimension métaphorique
du texte est parfois effleurée. Par exemple : dans ce premier volet des
aventures de Percy Jackson, tout finit bien. La mère, qui s’est toujours
ingéniée à protéger son fils, qui s’est sacrifiée pendant des années auprès
d’un époux brutal, reçoit des mains de Percy l’objet magique qui la délivrera
enfin. Car il ne suffit pas de sortir indemne des Enfers, encore faut-il ne pas
retomber dans l’enfer quotidien.
La dimension métaphorique
est aussi parfois appuyée de très belle manière. Comme dans cet extrait :
« Charon nous poussait
avec une perche le long d’un fleuve sombre et huileux dans lequel
tourbillonnaient des os, des poissons morts et d’autres objets plus
surprenants : des poupées, des œillets écrasés, des diplômes détrempés aux
bords dorés.
- Le Styx, a murmuré
Annabeth. Il est tellement…
- Pollué, a dit Charon. Ça
fait des milliers d’années que vous autres humains y jetez tout ce que vous
apportez avec vous : vos espoirs, vos rêves, vos souhaits jamais réalisés.
Déplorable traitement des déchets, si tu veux mon avis. » (p.330)
Merci Héloïse de m’avoir
fait découvrir Percy Jackson !
*
NB : La traduction de
Mona de Pracontal – qui est aussi la traductrice de Dennis Lehane et de Donald
E. Westlake – est impeccable. Le texte coule, fluide, rendant à merveille les
dialogues entre les enfants.
NB 2 : Un film a été tiré du roman. Un film tape-à-l'oeil, parfois grotesque, où les effets spéciaux le disputent à la niaiserie.
NB 2 : Un film a été tiré du roman. Un film tape-à-l'oeil, parfois grotesque, où les effets spéciaux le disputent à la niaiserie.
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Lire l’article de Virginie Neufville à propos de ce roman