Comme tous les vendredis
soir, je suis devant Apostrophes.
L’année ? Je ne sais plus. Mes années de jeunesse, sans précision autre.
Daniel Boulanger raconte à Bernard Pivot, et aux écrivains invités, une
anecdote. « Raconte » n’est pas le bon verbe, il faudrait en trouver
un qui engloberait à la fois la narration et la jubilation. Boulanger narre,
donc, (je reconstitue de mémoire, et cette mémoire ne date pas d’hier…) :
« Une amie me dit que lorsqu’elle fait l’amour avec un certain homme,
celui-ci s’écrie, au moment suprême, ‟Ma substance ! Ma substance !”
Et elle conclut : ‟J’ai l’impression de lui voler quelque chose” ». C’est
un des souvenirs que je conserve – jalousement – de Daniel Boulanger. Cette
faculté à rire sans s’étonner de la fantaisie humaine.
Je me souviens d’avoir
dévoré Mes coquins dans la colline
aixoise et d’avoir pensé que ce roman léger brûlait d’un feu autrement
essentiel. Je me souviens que les Retouches
m’ont bouleversée – et continuent de me bouleverser. Mon penchant poétique est
plus hugolien, en général, mais les Retouches
touchent au plus intime. Elles sont l’avers et l’envers du lyrisme. Je me
souviens de ma lecture – récente, une édition en livre de poche trouvée sur un
vide-grenier et acquise pour moins d’un euro – de La Poste de nuit, lecture dont je n’ai pas voulu rendre compte,
voulant garder, jalousement à nouveau, cette légèreté pour moi seule.
Bien sûr, je me souviens de
la trogne de Daniel Boulanger au cinéma – dans À bout de souffle et Tirez sur
le pianiste, mais surtout, surtout, dans La Mariée était en noir.
Je me souviens de son
retrait de l’académie Goncourt – et aussi de celui de Michel Tournier.
Je me souviens que dans Vestiaire des anges (Grasset, 2012),
Daniel Boulanger écrivait en préambule que sa « grand-mère paternelle fut
la première à [lui] parler des anges ». J’espère qu’il converse en bonne
entente avec eux, aujourd’hui.
Retouche à
novembre
des peupliers montant la garde
sur le canal plus vernis qu’un cercueil
le ciel en berne est incliné
le vent avale un requiem
et l’écluse est en larmes
la terre est au plus bas