Jean-Philippe Toussaint, L’Echiquier, éd. de Minuit, septembre2023.
Stefan Zweig, Echecs, traduction de Jean-Philippe Toussaint, éd. de Minuit, septembre 2023.
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Jean-Philippe Toussaint, L’Echiquier, éd. de Minuit, septembre2023.
Stefan Zweig, Echecs, traduction de Jean-Philippe Toussaint, éd. de Minuit, septembre 2023.
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Fabrice Caro, Journal d’un scénario, éd. Gallimard, coll. Sygne, août 2023
Sur ce point de départ, assez mince, une tornade de péripéties se met en branle, dévorant tout sur son passage, et singulièrement la teneur-même du scénario. De renoncement en renoncement, poussé par les producteurs d’une chaîne TV, Boris modifie son scénario afin qu’il puisse intéresser le plus de spectateurs possibles – pas que les Parisiens mais aussi et surtout les provinciaux, pas que les intellectuels mais aussi et surtout un public populaire, etc. Louis Garel et Mélanie Thierry ne sont plus que des silhouettes qui s’éloignent à grande vitesse, le scénario devient farfelu, lorgnant plus du côté de La Soupe au chou que d’un Rohmer ou un Carax.
Voilà pour la réalité. Parallèlement se met en place toute une série de quiproquos, parce que Boris n’a pas le courage de dire à la femme qu’il vient de rencontrer, et dont il est amoureux, que le scénario évolue sous la pression des producteurs ; parce que Boris n’a pas la force de parler de ses états d’âme à son meilleur copain qui est en plein divorce… Le scénario de la vie de Boris relève du comique de situation, dans le registre de la tendresse. Le scénario massacré par les producteurs relève, lui, du comique franchouillard en limite de scatologie. La confrontation de ces deux formes de comique est irrésistible.
Le roman de Caro est truffé de références cinématographiques et musicales délicieuses. Les inserts du texte du scénario qui nous sont donnés sont savoureux, on y voit Boris se battre bec et ongles pour conserver un peu de poésie et de hauteur dans une histoire qui tourne au grand guignol.
Voilà un roman à lire d’une traite. On y rit à gorge déployée, souvent, et l’on a tout aussi souvent la gorge serrée. Caro construit une histoire de désastre et de renoncements sur le seul mode qui soit approprié au malheur de l’homme contemporain : le comique. Le talent de Fabrice Caro repose, entre autres, sur la maîtrise parfaite des mécanismes comiques et sur une empathie formidable envers les petits perdants quotidiens.
Une réussite indéniable, que ce Journal d’un scénario. A lire, et à offrir autour de soi.
Antoine Philias, Plexiglas, éd. Asphalte, 22 août 2023, 240 p.
Antoine Philias bâtit un roman qui pourrait faire penser à la fois à Nicolas Mathieu et à Fabrice Caro. Un roman d’un réalisme sociologique abouti, et d’une ironie tendre tout aussi aboutie, pleine d’empathie pour les personnages. Et des personnages, il y en a, qui sonnent tous plus vrai les uns que les autres. Lulu, tout d’abord, la caissière de Carrefour, au seuil de la retraite, qui décide de s’intéresser à son propre sort et à celui des autres employés, se documente sur les revendications sociales, occupe les ronds-points. Ces deux-là, Elliot et Lulu, vont former le duo de base de toute une petite foule romanesque, une petite foule de petites gens – la sœur coiffeuse à domicile, le beau-frère employé chez Leroy-Merlin, le vigile payé-debout… pour ne citer que les personnages principaux.
Le roman s’articule sur une année entière, selon les fêtes et les saisons, transpercé par l’épisode du COVID et du confinement. Ces travailleurs de deuxième ligne ne sont pas confinés, ils officient tout d’abord sans masque, sans gel, puis, enfin, derrière des plaques de plexiglas. Ils sont ceux que l’on n’applaudit pas à 20:00, et qui ont marné toute la journée pour des salaires plus que modiques. Si la sœur et le beau-frère d’Elliot ont pu profiter du confinement pour cuisiner et prendre quelques kilos, Lulu est restée rivée à sa caisse, inquiète pour son fils enfermé dans un studio à Paris, et le vigile du Carrefour a peaufiné ses remarques envers la clientèle sur le port maladroit du masque et le passage obligé par la borne de gel hydro alcoolique. C’est à ses côtés qu’Elliot, en fin de RSA, dégote un emploi.
Plexiglas est un roman politique qui met les obscurs dans la lumière. Ils le méritent. Ceux que parfois l’on appelle « les vraies gens de la vraie vie », expression idiote, tous les gens sont vrais, et toutes les vies. Mais ces trajectoires-là, qui s’effectuent loin de Paris ou des grands centres régionaux, sont, finalement, majoritaires. Cholet, ville moyenne dirigée par un édile maintes fois condamné, devient l’exemple-même de la ville de province non pas abandonnée, mais oubliée. Pourtant, on y vit, on y aime, on s’y débat, on y rit, on y forge de belles amitiés.
Singulièrement, la couverture de Plexiglas, avec son Caddie esseulé sur un parking de supermarché, évoque celle des Disparus de Mapleton de Tom Perrota – roman qui a servi de base à la série The Leftovers. Dans le roman de Perota, une partie de l’humanité disparaît, laissant le monde dans la sidération. Dans le roman d’Antoine Philias, une partie du territoire national – les petites villes, la diagonale du vide – et de la population – les travailleurs de deuxième ligne – indispensables et invisibilisés, sont mis sur le devant de la scène. Ces héros du quotidien, attachants, sympathiques jusque dans leurs contradictions, forment un chœur harmonieux.